La question des violations des droits de l'homme au Sahara occidental dominera inévitablement, aujourd'hui à Bruxelles, les travaux du conseil d'association UE-Maroc, qui se réunit périodiquement pour examiner exclusivement l'état des relations économiques entre Rabat et les 27. L'agenda de cette réunion, qui était centré à l'origine sur le renouvellement de l'accord sur la commercialisation des produits agricoles et de pêche marocains sur le marché européen, avait été modifié, le mois dernier, à la suite de l'assaut brutal des forces marocaines contre le camp de Gdeim Izik. «Calmer le jeu !» A l'initiative des pays du nord, qui sont autrement plus sensibles sur cette affaire, au regard de la méthode violente employée par Rabat pour démanteler le camp de toile situé aux abords d'Al Ayoune, les 27 devaient adresser un message fort au Maroc sur le respect des droits de l'homme dans l'ancienne colonie espagnole. Sous la pression de la France et des subtiles manœuvres de la diplomatie espagnole - l'Espagne est très écoutée par ses pairs pour être l'ancienne puissance coloniale du Sahara -, ce débat a été reporté pour après le 13 décembre, afin de ne pas compromettre la réunion du conseil d'association, qui se tient aujourd'hui dans la capitale européenne, histoire de calmer le jeu. En revanche, les eurodéputés avaient voté sans délais, le 25 novembre, une résolution condamnant la violence des incidents d'Al Ayoune, que tout le monde attribue à la seule partie marocaine, en exigeant l'ouverture d'une enquête internationale sous la conduite des Nations unies. Invité à la fin du mois à s'expliquer sur la responsabilité de son pays dans ces incidents qui ont révolté la communauté internationale, le ministre marocain des Affaires étrangères, Fassi Fihri, avait nié en bloc les faits reprochés à son pays. Il ira jusqu'à se livrer à un véritable réquisitoire contre les eurodéputés, dont il a qualifié la résolution d'«injuste» et d'«impartiale», la presse internationale, espagnole surtout, pour avoir été à l'origine de «la campagne antimarocaine» et le Front Polisario d'être un «instrument» entre les mains de l'«ennemi extérieur». L'Algérie ! Condamnations et représailles La pression s'est accentuée sur le gouvernement marocain à mesure que se multipliaient les arrestations massives au sein de la population sahraouie et que se confirmaient l'usage systématique de la torture dans les commissariats et les nombreuses disparitions d'indépendantistes. Malgré leurs pressions et leurs manœuvres, Paris et Madrid ne pourront pas éviter que des parlements de plusieurs pays européens emboîtent le pas à Strasbourg et condamnent avec plus de fermeté et de clarté le comportement brutal des autorités marocaines. Ce fut le cas, il y a deux semaines, du congrès des députés espagnols, où avait été votée une motion, y compris par le groupe socialiste, demandant au gouvernement Zapatero d'agir auprès de son allié marocain pour faire cesser la répression dans l'ancienne colonie espagnole. Pour Rabat, ç'en est trop, si à leur tour les alliés se rangeaient aux côtés de ses adversaires. La semaine dernière, le porte-parole du gouvernement marocain avait annoncé que son pays allait «reconsidérer ses relations avec l'Espagne dans tous les domaines» : revendication de Ceuta et Melilla, plus de collaboration dans la lutte contre le trafic de drogue, le crime organisé et l'émigration clandestine ! Ce chantage semble avoir porté puisque le gouvernement socialiste espagnol a multiplié les démarches auprès des 27 pour réduire l'importance politique de la réunion d'aujourd'hui. Aux dernières nouvelles, hier, la participation de la ministre espagnole des Affaires étrangères, Mme Trinidad Jimenez, à Bruxelles n'était pas sûre. Apparemment, cette réunion, qui prévoyait de porter à son ordre du jour la question des violations des droits de l'homme au Sahara occidental, les expulsions d'Al Ayoune des journalistes et des parlementaires européens, se tiendrait au niveau des seuls ambassadeurs des 27 à Bruxelles. Ashton - Fihri Toutefois, Bruxelles ne peut pas faire l'impasse sur des aspects politiques qui conditionnent la coopération de l'Union européenne avec ses partenaires. Ce sera vraisemblablement donc à Mme Catherine Ashton, la haute représentante à la politique extérieure des 27 de demander des explications à ce propos au chef de la diplomatie marocaine, qu'elle recevra ce lundi. Un scénario idéal pour Madrid qui avertissait, encore hier depuis Bruxelles, par la voix de l'eurodéputé Lopez Aguilar, un poids lourd du Parti socialiste, que la coopération de l'Union européenne avec les pays du Maghreb était primordiale. Par le vocable pompeux de Maghreb, il est évident que l'Espagne cite exclusivement le Maroc, son «partenaire stratégique» touchable. Le syndrome de Ceuta et Melilla et le trafic en tout genre viennent s'ajouter aux intérêts économiques, qui est officiellement le point de l'ordre du jour du conseil d'association. Sur les 120 chalutiers européens qui pêchent illégalement dans les eaux sahraouies, une centaine est espagnole ! Voilà un indice parmi d'autres qui confirme une règle d'or de la diplomatie espagnole : les intérêts économiques ont la priorité sur les principes.