Les troubles ont débuté juste après la prière du maghreb, à 18h précisément. Des bandes de jeunes, venus des différents quartiers de Staouéli, investissent le centre-ville et commencent à saccager les plaques de signalisation, les feux rouges, l'éclairage public. Des barricades sont dressées dans quelques rues. Le feu est mis aux pneus près de Moretti. Labridja, véritable ghetto de misère, s'enflamme à son tour. Des tentatives de barrer la route de Zéralda échouent. A Sidi Fredj, la tension est montée d'un cran. Les agents du complexe sont en alerte maximale, mais rien ne s'y est produit. A Staouéli, aucun automobiliste n'a été agressé. Les magasins ont été épargnés. Nous quittons Sidi Fredj vers 21h. En cours de route, des marcheurs nous font du stop. Nous accompagnons l'un d'eux jusqu'à Haouch Mechraa Sfaa, à l'embranchement d'Alger-Ouled Fayet-Zéralda. Il nous conseille de prendre par le mas des Planteurs. «C'est plus sûr», explique-t-il. «Vous n'avez rien à craindre» Nous dépassons le plateau de Souidania, que les gens d'ici appellent «Ballouta». Le calme règne en maître. Mais grande fut notre surprise lorsque nous arrivâmes au croisement de Souidania : une bande d'adolescents encagoulés s'est emparé du carrefour de «Boumariquène», déformation de «Pont américain», empêchant toute «retraite» aux automobilistes. Il est 21h30 et des jeunes gens, mineurs pour la plupart, s'affairent à mettre en place le «dispositif» : de gros cailloux, des planches, des poteaux électriques, des fûts métalliques et tout un attirail de matériaux hétéroclites surmontés de pneus usagés. Le feu a déjà pris lorsque nous arrivâmes sur les lieux. Les agents de sécurité d'un petit complexe touristique situé à côté du Pont américain observent la scène sans réagir. Ne sachant plus s'il faut continuer ou faire demi-tour, nous osons quelques questions à un groupe d'encagoulés, qui ont compris notre inquiétude. «Vous pouvez passer, vous n'avez rien à vous reprocher», nous lance un gamin d'à peine 15 ans. Un autre, plus âgé, nous dit que «la parole est avec ‘eux', avec les suceurs de sang, pas avec les enfants du peuple». Contents d'avoir échappé au lynchage, nous remontons le chenil, puis l'usine Frico et le lotissement dit «Borgeaud», du nom de l'ancien propriétaire des lieux. A l'entrée de Ouled Fayet, nous rencontrons des unités de la sûreté nationale postées en contrebas du lycée et du centre de formation professionnelle. Un agent de la force anti-émeute, à qui nous racontons notre mésaventure, nous conseille de rentrer au plus vite, de peur que les choses dégénèrent. «Ils ont tous brûlé ici, au CC3 (un quartier résidentiel, ndlr). Ils ont saccagé Nedjma, ils ont enflammé des pneus du côté de Baba Hassène, ils sont partout. Que voulez-vous qu'on fasse ? L'essentiel est qu'ils ne s'attaquent pas aux gens». Devant le commissariat du village, ils sont plus de 5 policiers à surveiller les deux côtés de la route. L'un des policiers tient un fusil à pompe, un autre un fusil d'assaut AK47. Plus haut, le portail de la cité des 40 Logements, mitoyenne du commissariat, est fermé à double tours. Les jeunes habitants se relaient pour la surveillance des lieux. Les gardiens de l'immense dépôt de médicaments faisant face au siège de l'APC sont sur le qui-vive. Les véhicules de livraison, d'habitude garés devant l'établissement, ont tous disparu. Pourtant réputés couche-tard, les habitants du village se sont faits discrets la nuit de jeudi. Ni les marchands de brochettes, ni les kiosques multiservices, ni les buralistes n'ont osé proposer leurs services. A 22h, et malgré ses vives lumières, Ouled Fayet n'était qu'un immense dortoir.