Ben Ali fuit la Tunisie par les airs et voici que son Premier ministre assure l'intérim. Ce changement dans la continuité ne peut être du goût des Tunisiens. S'il y a eu des dizaines de martyrs de la révolution de jasmin, ce n'est pas pour que l'ex-chef d'Etat continue de diriger le pays à partir de l'Arabie Saoudite, où la famille royale s'est fait un honneur de l'accueillir lui et sa famille au milieu de la nuit. Certes, Ben Ali s'est rempli les poches au point de continuer de mener un train de vie de pacha chez les wahhabites mais qu'il ne compte pas continuer de diriger par procuration. Les anciens sujets de Sa Majesté, déchue, ne sont pas près d'accepter ce véritable coup de force anticonstitutionnel que Ghenouchi veut conduire en douce. Le temps du «putsch médical», qu'opérait le même Ben Ali contre le défunt Bourguiba, est totalement révolu et les mauvaises imitations ne sont plus tolérées. Les Tunisiens sont assez mûrs politiquement pour décider de la rupture qu'ils veulent effective avec l'ancien régime. Quant au slogan «faire barrage à l'islamisme», souvent synonyme de pouvoir à vie, ils sont parfaitement conscients que l'islamisme fera toujours partie du paysage politique tunisien. Cela ne semble pas avoir échappé à Barack Obama qui, tout en saluant le courage du peuple tunisien, a laissé à celui-ci la liberté de choisir les gouvernants qu'il jugera lui convenir. Quitte à mécontenter davantage le gouvernement de Paris qui a fermé la porte à l'ami Ben Ali alors qu'il poursuivait sa cavale quelque part dans le ciel européen. Pourtant, l'Elysée aurait été ravi de lui offrir le gîte, ne serait-ce que pour le remercier convenablement, l'ex-maître savait défendre les intérêts de la France dans un pays qu'il croyait être la priorité privée des Trabelsi. Mais lui réserver une suite royale dans un palace parisien, c'est aussi prendre le risque de voir un million de personnes, que compte la communauté tunisienne en France, se retourner contre le pays hôte. Déjà que la position ambiguë de la France, durant les moments les plus sanglants de la contestation populaire, a fait bruit dans la rue tunisienne. Une image de déjà vu à Abidjan quand, en 2005, les Ivoiriens exigeaient le «départ définitif» de l'ancien colonisateur. Parce que l'histoire n'est qu'éternel recommencement que les Tunisiens vont, à leur tour, «se rebeller» contre la Ve République française dont le choix s'est porté sur un soutien, sournois soit-il, à l'ami Ben Ali ? Claquer le portail de l'Elysée au nez du fugitif, qui s'est découvert une âme de démocrate le temps d'un discours trompeur, n'arrangerait presque plus rien. La France payerait le prix fort de sa fébrile condamnation de l'ancien régime. Une nouvelle perte collatérale dans la reconquête de l'Afrique, aux mains des Chinois et des Américains ? C'est une autre traditionnelle plate-bande française qui prend le large. Reste à Nicolas Sarkozy à se rattraper en Côte d'Ivoire, la fin du bras de fer Gbagbo-Ouattara s'annonce détonante.