Ancien fonctionnaire du ministère de l'Agriculture, Mohamed Amokrane Nouad partage les préoccupations des producteurs versés dans l'industrie agroalimentaire, qui s'inquiètent des retombées de la crise mondiale, essentiellement l'envolée des cours des matières premières sur le marché international. L'expert agricole explique que l'Algérie doit rompre avec le modèle alimentaire basé sur le couple «lait-céréales», qu'il faut réorienter vers un autre modèle substituant les céréales importées par des productions locales à haut rendement (pois chiches, lentilles, haricots, pois…). Le temps d'Algérie : L'agriculture nationale est-elle assez performante pour assurer l'approvisionnement régulier des industries de transformation agroalimentaires ? M. A. Nouad : Six filières sur huit présentent un niveau accru de dépendance des marchés extérieurs occupant jusqu'à 100% pour ce qui est du sucre, 95% pour l'huile de table, 90% pour les viandes blanches représentant la part alimentaire, 85% pour les légumes secs, 64 à 80% pour les céréales, 57% pour le lait, 18% pour les viandes rouges et 11% pour les poissons. Si on rajoute la filière boissons, celle-ci utilise des matières premières en totalité importées. Cette situation trouve fondamentalement son origine dans les dysfonctionnements provoqués par le désencrage de l'appareil agroindustriel de son amont agricole, qui fait que notre industrie agroalimentaire s'est retrouvée intégrée de façon passive au marché international. A travers ces statistiques, on voit le niveau de satisfaction des besoins et la marge de progrès que devrait faire le secteur de l'agriculture pour assurer l'approvisionnement régulier des industries de transformation agroalimentaires.
Quelles sont les gammes de produits alimentaires que l'on peut produire chez nous et à des coûts raisonnables ? La sécurité alimentaire, longtemps centrée sur les produits dits «de première nécessité», a conduit à une focalisation sur ces derniers, au détriment de la diversification et donc du report possible de consommation sur d'autres produits. Elle a conduit à une plus forte dépendance vis-à-vis du marché international et à une vulnérabilité des filières. Il y a nécessité de réorienter le modèle alimentaire basé sur le couple «céréales-lait» vers un modèle substituant les céréales importées par des productions locales à haut rendement ou valorisant les espaces en jachère. Ce sont ces gammes de produits alimentaires que l'on peut facilement produire chez nous et à des coûts raisonnables, à savoir les cultures maraîchères (tous les légumes) et les légumes secs (lentilles, pois chiches et pois).
Selon vous, quelles seraient les mesures à prendre pour permettre aux producteurs de résister à la concurrence étrangère dans un contexte économique caractérisé par le libre-échange et donc l'ouverture du marché à la concurrence de l'étranger ? Cela exige a priori la mise à niveau des entreprises nationales, le développement de l'agriculture qui est une nécessité pour établir une industrie agroalimentaire forte et capable de produire une quantité suffisante de produits agricoles, la mise en place d'une stratégie efficace en associant tous les acteurs, la création d'une forte compétition entre les entreprises afin d'améliorer la qualité et baisser les prix. Il faut toujours mettre en relief le fait que l'industrie agroalimentaire est la locomotive du développement de l'agriculture.
La politique agraire menée actuellement est-elle porteuse d'espoirs dans ce sens ? Certainement, mais il faut impérativement créer un partenariat solide entre tous les acteurs concernés, particulièrement entre les ministères de l'Industrie et de l'Agriculture, qui doivent désormais travailler ensemble pour relancer les deux secteurs qui se complètent. Vu toutes les potentialités dont dispose notre pays en matière de climat, terre et eau, nous devrions être un pays exportateur de produits agroalimentaires et non pas un pays importateur. Propos recueillis par