La situation dans laquelle se trouve l'industrie agroalimentaire n'arrange en aucun cas les politiques engagées en vue de réduire la dépendance alimentaire de notre pays et, par ricochet, assurer un minimum de sécurité alimentaire. Certes, l'objectif a été tracé, mais on s'interroge pertinemment sur les causes ayant mis cette industrie au dernier rang de l'économie nationale. A première vue, rien ne justifie une telle situation dans la mesure où les capacités de notre agriculture sont énormes. Néanmoins, les experts ne cachent nullement que le talon d'Achille de ce créneau réside justement dans la complémentarité entre l'industrie agroalimentaire et l'agriculture, car notre production agricole est toujours irrégulière aussi bien en quantité qu'en qualité. C'est le constat qu'a dressé M. Nouad Med Amokrane, docteur en agronomie. Il affirme, en fait, que «les principales difficultés des unités agroalimentaire concernent les trois aspects de l'approvisionnement : la quantité, la qualité et le prix des matières premières». Il explique que les fluctuations climatiques se traduisent par une très grande irrégularité des récoltes dont les niveaux peuvent varier dans de très grandes proportions. Il ajoutera que l'hétérogénéité des matières premières réceptionnées a des conséquences directes sur le fonctionnement des unités de production (calibres différents, taux de déchets élevé, interventions manuelles). Dans le même ordre d'idées, M. Nouad avoue aussi que le morcellement des exploitations agricoles et l'absence de contrats, définissant les engagements et les risques des partenaires pour l'achat des produits agricoles engendrent des coûts particulièrement élevés. Selon lui, de plus en plus d'industries agroalimentaires reçoivent leurs matières premières, notamment les céréales, ou des produits semi-finis (poudre de lait, huile brute ...) de l'étranger. Elles dépendent donc totalement de la régularité des importations et des prix des produits sur les marchés internationaux. M. Nouad ne cache pas que «beaucoup de signaux existent déjà sur la préférence des industriels vers l'approvisionnement en matières premières sur les marchés internationaux». Cette préférence se justifie, explique-t-il, par la qualité et la disponibilité du produit, mais aussi par les prix. Somme toute, le secteur agricole demeure la base sur laquelle repose l'agroalimentaire. Cependant, même si l'agriculture est mise à l'index dans la situation que vit l'agroalimentaire, il n'en demeure pas moins que cette industrie est également confrontée à plusieurs contraintes. On énumère, entre autres, un faible degré d'intégration verticale en amont et en aval, un système commercial et logistique traditionnel, avec des coûts de fonctionnement excessifs et une absence de transparence dans la détermination des prix, une faiblesse de l'environnement scientifique et technique, une faiblesse dans la maîtrise des méthodes modernes d'organisation et de management des entreprises, une faible capacité d'attraction des investissements étrangers et des difficultés à affronter la concurrence internationale. Parmi ces obstacles, M. Nouad cite le process de cette industrie et la mise en marché des produits agroalimentaire qui présente beaucoup de problèmes. La «production est pulvérisée et manque de groupements de producteurs en mesure de gérer la mise en marché, y compris les prétraitements à la ferme et une qualité disparate des produits et leur inadaptation par rapport à la demande industrielle», fait-il remarquer. De plus, «le commerce de gros est presque totalement informel», regrette-t-il. Pour lui, «à l'exception de certains importateurs, les grands commerçants ont un degré faible de spécialisation, des capacités de conservation et de transport autonomes limitées, et n'ont aucune transparence dans les transactions commerciales, ni du point de vue de la qualité ni du point de vue fiscal.» Ce qui limite, à ses yeux, «les possibilités d'approvisionnement de l'industrie par l'intermédiaire du commerce de gros, mais aussi l'écoulement des produits, obligeant les entreprises plus grandes à créer leurs propres réseaux de distribution.» Enfin, il préconise globalement une stratégie alimentaire basée sur un certain nombre de mécanismes pour sortir de ce tunnel mais aussi pour remédier urgemment à la déconnection entre l'agriculture et l'agroalimentaire en mettant au point «une soudure effective et en temps certain». S. B.