L'amnistie générale pour les prisonniers politiques, attendue aujourd'hui à l'issue du premier Conseil des ministres du gouvernement de transition, autre concession des nouveaux dirigeants tunisiens, ne semble pas en mesure d'apaiser les manifestants, qui appellent au départ des ministres issus de l'ancien parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Cette amnistie, qui doit «favoriser une réconciliation» nationale, sera un autre point à ajouter aux acquis de la «révolution» tunisienne, mais pas assez suffisante pour faire revenir le calme dans la rue où des milliers de manifestants sont sortis, hier encore, pour revendiquer le départ des membres de l'équipe du président déchu. Les manifestants ainsi que les politiciens exigent tout simplement l'abolition du RCD. Le maintien de huit ministres RCD dans la nouvelle équipe, notamment aux postes clés de l'Intérieur, de la Défense ou des Affaires étrangères, a suscité la colère de milliers de manifestants dans tout le pays, notamment à Tunis où une marche a été dispersée de façon musclée par la police. La rue exige l'abolition du RCD Mardi, la grogne qui avait éclaté après l'annonce, la veille, de la nouvelle équipe gouvernementale, a eu raison de certains membres, notamment ceux de la forte centrale syndicale, l'UGTT, qui a décidé de retirer de la coalition son équipe composée de trois représentants. Ce mouvement a été suivi peu de temps après par l'opposant Moustafa Ben Jaafar, du forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) nommé à la Santé. L'UGTT revendique, «en réponse aux demandes de la rue», la mise à l'écart de tous les ministres de l'ancien gouvernement à l'exception du premier ministre Mohamed Ghannouchi. Les concessions successives de la nouvelle équipe de dirigeants ne font qu'encourager le peuple à camper sur ses revendications légitimes. Ainsi, Ghannouchi qui soutenait que le maintien de certains ministres était nécessaire pour assurer la transition jusqu'aux élections, n'a pas tardé tout comme le président par intérim Foued Lembazaa à annoncer leur retrait définitif du RCD. Le parti de Ben Ali sera également au centre du conseil des ministres d'aujourd'hui. Il sera question de la séparation de l'Etat avec le RCD, dont certains radicaux réclament la disparition du paysage politique. Dans une tentative de «sauver sa peau», cette formation politique a annoncé avoir radié Ben Ali de ses adhérents. Mercredi aussi, plus d'un millier de manifestants réclamaient à nouveau le retrait des ex-ministres du gouvernement de transition. «Peuple, révolte-toi contre les partisans de Ben Ali», scandaient les manifestants en rangs serrés, encadrés par un important dispositif policier. «Ça va continuer tous les jours, jusqu'à ce qu'on soit débarrassé du parti au pouvoir», a déclaré un manifestant, ajoutant : «Nous nous sommes débarrassés du dictateur, mais pas de la dictature.» Le gouvernement a décidé d'alléger le couvre-feu de deux heures, en raison d'une «amélioration de la sécurité», alors que la capitale a renoué avec les embouteillages et que de nombreux habitants repartaient au travail mercredi. En revanche, il a maintenu les autres mesures de l'état d'urgence, telles que l'interdiction de rassemblement sur la voie publique de plus de trois personnes et l'autorisation aux forces de l'ordre de tirer sur les personnes prenant la fuite aux contrôles. A Sousse (centre-est) et Tataouine (sud), des manifestants ont escaladé la façade des sièges du RCD pour enlever et détruire les drapeaux et symboles du parti. Face à cette escalade des revendications, Ghannouchi a tenu à souligner dans une autre tentative de calmer les esprits que «tous ceux qui ont été à l'origine de ce massacre, de ce carnage, rendront compte à la justice», précisant qu'il «avait dès son investiture donné instruction aux forces de sécurité de ne tirer en aucune façon sur la population.» «L'armée n'a pas tiré. C'est certain, parce que l'état d'urgence a été décrété quelques heures avant le départ précipité du président», a-t-il ajouté. Concertations Abdeslam Jrad, secrétaire général de l'UGTT, devait rencontrer les responsables des partis politiques de l'ancienne opposition, puis le Premier ministre. M. Jrad devait notamment discuter avec Mustapha Ben Jaâfar pour décider sous quelles conditions les ministres qui se sont retirés du gouvernement le réintégreront ou non et si l'UGTT revient ou non sur sa décision annoncée lundi de ne pas reconnaître le nouvel exécutif. Sur le plan politique, la course aux postes est déjà lancée et des voix se sont déjà exprimées. Comme à leur habitude et stratégie, les islamistes préfèrent partir de loin pour mieux contrôler la situation et se pointer au bon moment pour «rafler» la mise. Ainsi, le parti islamiste interdit Ennahda, pourchassé par l'ancien régime, a annoncé qu'il allait demander sa légalisation pour pouvoir participer d'abord aux élections législatives annoncées d'ici la mi-juillet et non pas à la présidentielle. Ce parti démantelé après les élections de 1989 où il avait obtenu 17% des voix se présente comme un parti réformateur prônant un islam modéré à la turque. Il a réclamé une «amnistie générale» pour que ses nombreux membres en exil puissent rentrer au pays, à commencer par Rached Ghannouchi, le responsable du parti réfugié à Londres. Par contre, Moncef Marzouki, opposant historique de la gauche laïque au régime de Ben Ali rentré mardi de Paris avait, bien avant son départ pour Tunis, annoncé sa candidature à la présidence. L'ombre de la révolte sur Charm El Cheikh La crainte d'une contagion de la crise tunisienne au sein des pays arabes a été palpable à Charm el-Cheikh en Egypte, où se tenait un sommet économique. Le mouvement et sa répercussion ont provoqué une vive inquiétude au sein de ces pays et des appels pressants à répondre aux difficultés économiques et sociales ont été lancés mercredi à l'ouverture du sommet. «La révolution en Tunisie n'est pas éloignée de ce que nous discutons ici», a déclaré le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa. «L'âme arabe est brisée par la pauvreté, le chômage et le recul des indices de développement», a-t-il dit. Le groupe doit confirmer un engagement, pris lors du précédent sommet en 2009 au Koweït, de créer un fonds de deux milliards de dollars pour financer les petites et moyennes entreprises, afin notamment de soutenir l'emploi. Dix chefs d'Etat y participent, sur 22 membres de la Ligue arabe.