Dans cet entretien, Abdelmalek Serraï émet nombre de propositions pour la régulation du marché de grande consommation. Selon lui, le gouvernement est tenu de réaliser au plus vite des marchés de proximité et, dans le même temps, renforcer ses missions de contrôle et de surveillance. Il relève également que nos opérateurs ne maîtrisent pas le marché de l'importation, d'où les surcoûts sur certains produits stratégiques. «Le plus préoccupant, souligne-t-il, est l'émergence de puissants monopoles dont les appétits peuvent mettre en danger la sécurité nationale». Le Temps d'Algérie : Comment évaluez-vous les dispositions (suppression temporaire de la TVA et de la taxe douanière) prises par le gouvernement pour influer sur la baisse du prix du sucre et de l'huile ? Abdelmalek Serraï : Les dispositions sont prises en retard d'au moins trois semaines parce que la situation internationale des prix était déjà préoccupante. Si le gouvernement avait réagi un peu plus tôt, il n'y aurait jamais eu de manifestations. J'insiste qu'il n'y a pas eu de crise politique en Algérie, mais plutôt une crise de consommation. Certes, le gouvernement a pris une décision très salutaire, mais elle n'est valable que pour un certain temps, car il ne peut pas l'appliquer à un domaine limité dans le temps et dans l'espace. D'autres acteurs vont réclamer la même chose, alors que les choses ne peuvent pas être réglées ainsi. Selon les estimations à l'échelle mondiale, les cours des matières premières vont certainement baisser à partir de juillet-août, soit après l'entrée des prochaines productions. Cette situation nécessite une régulation généralisée pour ne pas permettre à un groupe restreint de bénéficier et à d'autres groupes de réclamer. Nous préconisons un sursaut qualitatif du gouvernement, une vision plus globale et stratégique où il sera question de prendre en charge, sérieusement, tout ce qui a trait au marché de la grande consommation. Le gouvernement devra développer très vite la construction et la gestion des marchés de proximité en tant que marché régulateur et baromètre des prix de consommation destinés au large public. Deuxièmement, le gouvernement devra renforcer ses capacités de contrôle et de surveillance à l'échelle nationale. Le ministère du Commerce est appelé à renforcer sa structure et ses moyens humains pour faire face à la situation. Il faudrait qu'il y ait aussi un jeu de facilitation du commerce extérieur et de l'investissement pour les entreprises de services et de produits pour casser le monopole de l'importation ou de la production. Existe-t-il un monopole sur des produits de base en Algérie ? Nous faisons face à un monopole très dangereux. J'ai déjà lancé l'alerte concernant la constitution de certains monopoles et qui sont en train de se renforcer. Imaginez si un des gros importateurs qui soit dominant sur le marché national décide d'arrêter son travail pendant deux ou trois semaines. Il provoquera une pénurie et une tension graves. Les structures du gouvernement doivent gérer elles-mêmes les stocks de sécurité et non des stocks de spéculation. Ceci permettra au gouvernement d'avoir notamment un contrôle du marché et sur la péréquation des prix. Parallèlement, il faudrait encourager la production agricole, notamment dans les filières des viandes rouges, de laitages, de céréales, des oléagineuxs et des légumes secs. Certes, le gouvernement a réussi à encourager la production des céréales, mais il faudrait qu'il continue dans la même voie. Nous avons préconisé que 20% des montants destinés à l'importation soient orientés vers le soutien du secteur agricole pour valoriser davantage les terrains des hauts plateaux et du grand sud. Le marché local sera mieux approvisionné en produits locaux et nous ne serons plus dépendants des marchés extérieurs. Après les hausses des cours des matières premières, l'Algérie a subi de plein fouet la crise financière internationale. Que préconisez-vous pour maîtriser les fluctuations des prix des matières premières ? Il faudrait se donner un temps de réflexion avec l'implication de nombreux spécialistes dans les différents secteurs pour sortir avec des recommandations nationales d'où découlera une stratégie nationale à moyen et à long terme. Dans la situation actuelle, l'Algérie a tous les moyens financiers pour faire face à ce genre «d'accident». Pensez-vous que les entreprises de production de sucre et d'huile maîtrisent le marché international ? Malheureusement, beaucoup d'entreprises ne maîtrisent pas le marché international. Nous avons affaire à des opérateurs qui ne font pas appel aux compétences nationales. Les entreprises qui ont réussi comme Cevital recourent à des compétences nationales et internationales. Ceux qui ne maîtrisent pas les importations enregistrent beaucoup de pertes dans les achats à cause des mauvaises négociations, mais aussi dans les transports, les surestaries et autres. Finalement, c'est le citoyen algérien qui supporte les différents coûts. Le faible niveau de management et de gouvernance de ces sociétés est subi par le consommateur. Mais, si on avait permis à une génération de diplômés d'investir dans le commerce extérieur on n'aurait jamais eu ce type de problèmes. Le gouvernement doit corriger la situation et laisser les diplômés travailler. Que pensez-vous de la création d'un office spécifique pour le sucre qui se chargera de la régulation du marché national ? Je suis d'accord pour la création des marchés de proximité. Il faut créer de grandes centrales de stockage à l'échelle nationale. Les produits de grande consommation comme le café, le sucre et l'huile doivent avoir des offices de régulation en termes de stocks de sécurité et de prix de gros. Les offices doivent être une référence pour fixer les prix. Comme ça, tous les spéculateurs seront obligés de suivre les prix de l'Etat. L'Algérie doit s'inspirer des expériences des pays qui ont réussi dans ce domaine. Nous ne pouvons plus nous exposer au risque d'avoir une pénurie de produits car ceci déclenchera encre des émeutes. Pour maintenir un niveau acceptable des prix du sucre et de l'huile, pensez-vous qu'il est opportun de supprimer définitivement les taxes douanières et fiscales ? Il faut que le système fiscal continue de fonctionner. A défaut, nous irons vers un système d'assistanat. Le gouvernement a décidé de geler les taxes jusqu'au mois d'août. Si les conditions climatiques s'améliorent, les prix des matières premières vont baisser à partir de juillet. D'ici là, je préconise une réflexion approfondie pour dégager un programme réel avant ce délai qui permettra de maintenir le marché approvisionné avec la garantie d'un stock de sécurité. Des équipes de contrôle et des cellules d'alerte au niveau du gouvernement doivent être créées également. Le Conseil national de la concurrence, qui tarde à être installé, doit être rattaché au premier ministère pour avoir un poids et agir en cas de situation de monopole.