Le gouvernement français était parfaitement informé de la corruption et de l'exaspération de la population en Tunisie sous le président Zine Ben Ali et pouvait prévoir la situation qui a conduit à sa chute, a déclaré un ancien ambassadeur français, hier, au journal Libération. Yves Aubin de la Messuzière, ambassadeur de France en Tunisie de 2002 à 2005, explique que l'ambassade avait informé Paris de la dégradation des libertés publiques, de la corruption et de l'exaspération de la jeunesse. «Les autorités politiques françaises étaient parfaitement informées des dérives du système Ben Ali, qui rejetait toute référence à la question des droits de l'homme (...). L'expertise du Quai d'Orsay était négligée», écrit-il. «Au cours de la décennie passée, les analyses de notre ambassade à Tunis et celles du Quai d'Orsay soulignaient régulièrement la dégradation des libertés publiques et la répression qui touchait les associations et les organisations non gouvernementales telles que la Ligue tunisienne des droits de l'homme. Les rapports diplomatiques mettaient aussi l'accent sur l'exaspération et le mal-être de la jeunesse tunisienne, liés certes au problème de l'emploi mais aussi à l'absence d'espace et d'expression politiques», écrit l'ancien ambassadeur. La menace islamiste, brandie par le régime Ben Ali comme «prétexte pour s'abstenir de toute ouverture politique jugée déstabilisante» et reprise par le pouvoir français, était relativisée. «L'analyse diplomatique privilégiait le risque de mouvements sociaux à la menace islamiste», ajoute le diplomate. L'ambassadeur français à Tunis remplacé L'ambassadeur de France en Tunisie, Pierre Ménat, va être remplacé par son collègue en poste à Baghdad, Boris Boillon, a-t-on appris hier de source proche du dossier, alors que la position de la diplomatie française face à la révolution tunisienne a été très critiquée. Cette nomination a été décidée par le gouvernement, lors de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres. Le jour du départ de Ben Ali, le 14 janvier, Pierre Ménat aurait déclaré : «Ben Ali a repris le contrôle de la situation.» La France a été sévèrement critiquée pour avoir tardé à soutenir les aspirations démocratiques du peuple tunisien. Ce n'est qu'après la chute de l'ex-président Zine El Abidine Ben Ali que Paris a explicitement appuyé le soulèvement populaire. Lundi, le président Nicolas Sarkozy avait admis que la France avait «sous-estimé (les) aspirations du peuple tunisien à la liberté». Mandat d'arrêt international contre Ben Ali La justice tunisienne a lancé un mandat d'arrêt international contre le président déchu Zine El Abidine Ben Ali, réfugié en Arabie Saoudite, ainsi que contre son épouse Leïla Trabelsi, a annoncé hier le ministre de la Justice, Lazhar Karoui Chebbi. L'ancien président et son épouse sont poursuivis pour «acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers» et «transferts illicites de devises à l'étranger», a précisé le ministre. Le président Ben Ali a fui le 14 janvier la Tunisie, sous la pression d'une révolte populaire sans précédent, et a trouvé refuge en Arabie Saoudite. Il est soupçonné d'avoir emporté avec lui 1,5 tonne d'or provenant des coffres de la Tunisie. Son épouse Leïla, honnie par la population pour avoir mis le pays en coupe réglée, a également quitté le pays, à une date et pour une destination inconnues. Au moins 50 000 manifestants à Sfax, selon les syndicats A Tunis, la situation reste très tendue aux abords des bureaux du Premier ministre. La police a tiré des grenades lacrymogènes contre des manifestants qui tentaient de passer un barrage. Par ailleurs, à Sfax, deuxième ville du pays, des «milliers» de travailleurs auraient commencé ce matin à débrayer, pour répondre à un appel à la grève générale. Cet après-midi, les syndicats annoncent «au moins 50 000» manifestants à Sfax. Les manifestants scandaient notamment : «Révolution jusqu'à la victoire, de Tunis jusqu'au Caire !» Référence au mouvement naissant en Egypte.