Le plus grand sportif de l'histoire du sport français ne prend jamais parti. Entre le joueur parfois violent et le gentil Zizou survendu, qui est-il ? Zinedine Zidane est le plus grand sportif de l'histoire du sport français. C'est ainsi et c'est mérité. Sans lui, la France n'aurait jamais gagné la Coupe du monde en 1998, l'Euro en 2000, ni même atteint cette finale de Coupe du monde en 2006. Finale contre l'Italie qui aurait peut-être été remportée si le même Zidane n'avait pas été exclu à 13 minutes de la fin des prolongations en raison de son désormais célèbre coup de boule à Marco Materazzi qui reste l'ultime geste de sa vie de footballeur puisqu'il ne rejoua plus après. Pour toute son œuvre, immense, et parce qu'il était capable de fulgurance technique et artistique comme le but qu'il marqua lors de la finale de la Ligue des champions entre le Real Madrid et le Bayer Leverkusen en 2002 (le but de la décennie écoulée, selon beaucoup), la France, du football en particulier, a décrété qu'il était intouchable et donc incritiquable. Alors que Thierry Henry a été attaqué de toutes parts pour sa «main de Dieu» qu'il risque de traîner comme un boulet, pendant que de l'autre côté de l'Atlantique, Tiger Woods est abandonné par quelques gros sponsors et vilipendé dans les médias de son pays pour quelques moments d'égarement personnel, Zinedine Zidane, lui, n'a jamais payé le prix de son moment de folie, pourtant tellement plus grave que la main baladeuse de Thierry Henry et les aventures extraconjugales de Tiger Woods. Au contraire, même. Quelques semaines plus tard après cet «attentat» de Berlin, Frank Riboud, le patron de Danone, l'a fait entrer au conseil d'administration de Danone Communities. Adidas l'a gardé comme porte-étendard. Avec d'autres, Generali et Orange ont continué à exploiter son image. A travers divers sondages, une majorité de Français a même décrété qu'il avait eu raison de réagir de la sorte. Ce coup de boule ne lui a rien coûté. Il lui a même rapporté, selon Besma Lahouri, auteur d'une biographie non autorisée du champion Zidane, une vie secrète, qui a décrit dans son ouvrage comment Danone, avec qui il s'est engagé jusqu'en 2015, avait notamment rebondi sur cet incident pour faire de Zidane une figure victimaire envoyée aussitôt en mission commerciale dans des pays musulmans, comme l'immense Indonésie. Zinedine Zidane fait des affaires, et c'est bien son droit. Il consacre une partie de son temps à Ela, sa fondation qui vient en aide aux enfants victimes de maladies leucodystrophiques, et c'est noble. Mais pourquoi Zidane, personnage pourtant intelligent, ne dit-il jamais rien ? Enfin, rien qui ne dépasse. Rien qui ne surprenne. Rien qui ne suscite la controverse ou le débat. Rien qui ne déplaise. Rien qui ne le mette hors jeu (même de quelques petits centimètres). Rien qui, au final, ne retienne vraiment notre attention. Zidane éternellement mi-chèvre mi-chou, lisse comme un ballon de football et beau comme une pub vantant les mérites du tourisme en Algérie réalisée sous l'égide de l'opérateur de téléphonie, Wataniya Télécom Algérie, dépositaire de la marque Nedjma dont Zizou est (aussi) l'ambassadeur. Pour Zidane et ses sponsors, le silence (ou le murmure) est la règle, car il est d'or. Mais cette restriction de la pensée et de la parole n'est-elle pas devenue, après tout, la norme chez les plus grands champions ? Ces champions à la fois contrôlés par des agents, omniprésents et en charge de faire fructifier leurs revenus, et des attachés de presse personnels qui ont fini par envahir les salles de conférence de presse, alors qu'ils n'existaient pas voilà une dizaine d'années. A ce jour, personne ne sait vraiment qui est Zidane après toutes ces années. Entre le joueur parfois violent qui reçut 14 cartons rouges sur l'ensemble de sa carrière et le gentil Zizou survendu. Pourquoi Zidane soutient-il le Qatar ? L'Etat du Golfe est candidat à l'organisation de la Coupe du monde 2018 malgré sa petite taille et son manque de transports et d'hôtels. Réunie à Zurich, la Fifa devra non seulement choisir pour l'édition de 2018, entre les candidatures de l'Angleterre, de la Russie et des co-organisations Belgique, Pays-Bas et Espagne-Portugal, mais aussi pour celle de 2022 où cinq pays sont en piste : les Etats-Unis, l'Australie, le Japon, la Corée du Sud et le Qatar. En 2018, après l'Afrique du Sud en 2010 et le Brésil en 2014, il est donc acquis que la Coupe du monde reviendra en Europe. En 2022, les options sont plus diverses… Parmi celles-ci, le Qatar qui a finalement emporté le morceau pour 2022. Lors de sa visite d'inspection, en septembre, la Fifa n'a pas franchement caché son pessimisme vis-à-vis d'un projet qui cumule quelques handicaps. A la tête de sa délégation, Harold Mayne-Nicholls a plus ou moins clairement signifié qu'au-delà des promesses d'un dossier très compact sur le plan géographique et innovant dans le domaine technologique pour climatiser les stades, le Qatar, avec une population de moins d'un million d'habitants et un territoire à peine plus grand que la Corse, était un trop petit pays pour accueillir une compétition de cette dimension. «Dans l'histoire, nous n'avons connu qu'un projet aussi concentré que celui-ci et c'était lors de la première Coupe du monde organisée en Uruguay en 1930 avec 10 équipes qui se partageaient deux stades, a-t-il déclaré. En 80 ans, la compétition a considérablement évolué. Il y a désormais 32 équipes, 80 000 accrédités et des dizaines de milliers de supporters. En l'état actuel des choses, le Qatar ne dispose pas d'assez de transports et d'hôtels.» Un Mondial sans bière ? Sans oublier qu'il fait une chaleur atroce au Qatar, en juin et en juillet, et que les spectateurs, une fois sortis des stades climatisés, devront bien étancher leur soif quelque part dans un pays qui, jusqu'ici, ne permet pas la vente de boissons alcoolisées. Une véritable «déclaration de guerre» pour un supporter de football… Mais alors qu'émanait ce verdict plus ou moins définitif de la bouche de Mayne-Nicholls, le Qatar, Etat richissime en raison de ses réserves de gaz et de pétrole, a sorti et abattu son ultime joker pour forcer son destin en la personne de Zinedine Zidane, soudain bombardé ambassadeur de cette candidature déjà soutenue par Pep Guardiola, l'entraîneur du FC Barcelone. Présent à Doha, la capitale qatarie, en marge de cette visite technique de la Fifa, Zidane est également apparu aux journalistes sur un écran et dans un petit film qui faisait défiler sa vie. «Il est temps de confier la Coupe du monde au Moyen-Orient, concluait le champion français à l'issue du clip. Le football appartient à tout le monde. Il est l'heure de le donner au Qatar.» Un message que l'Australie, et par extension l'Océanie, aurait pu reprendre à son propre compte dans la mesure où le pays n'a également jamais reçu la Coupe du monde, contrairement aux Etats-Unis, au Japon et à la Corée du Sud. Les liens de Zidane Qu'est donc allé faire Zinedine Zidane dans cette galère, ou au moins dans ce qui s'annonce comme un échec annoncé ? Il est aisé de l'imaginer, d'autant mieux qu'il est déjà en affaire, en quelque sorte, avec le Qatar puisque Qatar Telecom est le propriétaire de Nedjma, opérateur de téléphonie mobile en Algérie avec qui il est lié jusqu'en 2012, l'argent étant reversé, nous dit-on, à l'une des fondations du champion en Algérie. Mais Zidane, après tout, n'est ni le premier ni le dernier sportif de renom à se laisser séduire de la sorte par les charmes du Qatar, maison de retraite plaquée or de footballeurs en fin de carrière (Dugarry, Lebœuf, Desailly, Juninho…), et qui a fait du sport l'axe majeur de sa communication au point d'avoir même osé faire acte de candidature pour l'organisation des Jeux olympiques de 2016 finalement attribués à Rio de Janeiro. En voulant remettre cela pour 2020… C'est l'originalité de cet Etat minuscule du Golfe, plus ouvert en apparence à une certaine modernité et ouverture sur le monde que plusieurs de ses voisins, à l'image de la création de la chaîne Al Jazeera et qui se rêve en superpuissance sportive. Il s'agit même d'une stratégie politique. Selon cheikh Hamad Khalifa Al Thani, le chef du régime local en place depuis une révolution de palais en 1995, et qui s'intéresse de près ces jours-ci au Paris Saint-Germain, «il est plus important d'être reconnu au Comité international olympique (CIO) qu'à l'Organisation des nations unies. Tout le monde respecte les décisions du CIO». Tout cela, faut-il le préciser, en s'assurant une copieuse couverture médiatique par la grâce d'invitations délivrées aux journalistes. Au cours des trois dernières années, Doha a été, par exemple, le cadre du masters féminin de tennis – traduction concrète d'une ouverture aux femmes sous des latitudes où leurs droits sont souvent bafoués – et à chaque édition, les organisateurs ont payé nombre de billets d'avion et de chambres d'hôtel de grand standing à des médias internationaux, histoire de garnir leur salle de presse. Avec le Qatar, il n'y a pas que Zidane qui soit arrosé…