En Espagne, les bébés volés sous Franco demandent justice Les bébés volés ne sont pas l'apanage des dictatures latino-américaines. L'Espagne de Franco a aussi engendré son lot de disparitions d'enfants dans les maternités et les prisons. Déclarés morts, ils seraient des centaines à avoir été ensuite donnés ou vendus à des familles fortunées entre 1940 et 1980. Depuis quelques semaines, les dénonciations se multiplient dans tout le pays, raconte El Pais. De quoi mettre la pression aux juges peu pressés de traiter des affaires qui remontent souvent à plus trente ans... A Madrid, les autorités ont ouvert une enquête dans les archives des hôpitaux et en Andalousie, une vingtaine d'affaires devraient être traitées. Plusieurs articles dans la presse sur des vols d'enfants ont décidé Maria José Estévez à porter plainte à son tour. Elle a accouché d'un petit garçon dodu en 1965 : «Ils m'ont dit qu'il ne pleurait pas parce qu'il était mort, et ils l'ont emmené dans une autre chambre. Mais moi j'entendais des pleurs et je voulais de ses nouvelles. Ils ont montré à mon mari et à mon frère un tout petit corps qu'ils ont sorti du frigo. Quand j'ai voulu voir son corps, ils m'ont dit qu'ils l'avaient déjà enterré à côté de la jambe d'un amputé.» Maria José est convaincue que son fils a été vendu. Un petit commerce auquel participaient les médecins, le personnel des hôpitaux, les prêtres et les bonnes sœurs, d'après La Nueva España, le quotidien régional des Asturies. Dans cette communauté autonome, ils seront sept à déposer plainte en janvier. Membres de familles ayant perdu un enfant dans des conditions louches ou bébés adoptés devenus adultes, ils sont 250 à s'être réunis au sein de l'Association nationale des victimes d'adoptions irrégulières (Anadir) et à encourager les dénonciations. La justice espagnole hésite encore à juger nombre de ces cas : la prescription devrait s'appliquer pour certains faits remontant à plusieurs décennies. Les enquêtes s'annoncent difficiles, car la plupart des personnes impliquées sont mortes et les centres de santé détruits. Le procureur de la République, Javier Zaragoza, a demandé en ce sens l'ouverture d'un «bureau d'attention aux victimes» et la mise en place de lois favorisant les recherches, comme l'ouverture des registres des hôpitaux et des cimetières. Sur son blog hébergé par Publico.es, l'auteur Isaac Rosa tourne pourtant en dérision les moyens mis en place pour les familles des victimes : «Ce qui est drôle, le ‘‘Typical Spanish'', c'est que le procureur Zaragoza dit que s'occuper des victimes relève de la ‘‘stricte justice'', alors qu'il leur a refusé cette même justice en leur barrant la voie judiciaire il y a un mois. Ainsi, il propose un bureau d'attention aux victimes, au lieu de mener l'enquête lui-même et de chercher les responsables. A la place de la justice, il ne leur offre que la bureaucratie.»