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L'Italie de Berlusconi est un parfait terreau pour le crime organisé
La mafia ne meurt jamais
Publié dans Le Temps d'Algérie le 09 - 02 - 2011

Le 13 juillet 2010, la police italienne a procédé à l'un des plus grands coups de filet de l'histoire du crime organisé transalpin : elle a arrêté plus de 300 membres de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise.
L'ampleur de l'opération (elle a mobilisé quelque 3000 agents de police, qui ont procédé à 305 arrestations, 55 fouilles, et à des saisies d'une valeur estimée à 75 millions de dollars) est la démonstration d'une enquête de police parfaitement coordonnée, les polices du nord et du sud de l'Italie ayant ici opéré de concert.
A chaque fois qu'un grand coup de filet frappe la mafia, tous les deux ou trois ans, la presse américaine s'empresse d'y voir un tournant dans la lutte contre le crime organisé d'Italie. Mais en réalité, le grand nombre d'arrestations ne fait que traduire l'évolution constante et l'omniprésence de cette organisation calabraise, qui compte parmi les plus puissantes et parmi les moins connues des mafias transalpines.
Cent soixante des arrestations ont été conduites à Milan, la capitale financière de l'Italie du Nord ; la 'Ndrangheta y aurait 500 affiliés.
La 'Ndrangheta est moins connue que la Cosa Nostra sicilienne ou que la Camorra (l'équivalent napolitain de la mafia), et elle demeure bien plus insaisissable. Selon le think tank italien Eurispes, elle est aussi l'une des organisations criminelles les plus riches du pays, avec environ 50 milliards d'euros de bénéfices annuels ; la moitié de cette somme proviendrait du trafic de drogues.
Coup de com' ?
La vaste opération anti-mafia de cette année est plus qu'un simple coup de com'. Elle semble avoir réellement fait avancer les choses. Après plus de deux ans d'une minutieuse enquête, la police et les juges d'instruction sont parvenus à réunir un nombre incroyable de preuves : 64 000 heures d'enregistrement vidéo et plus d'un million de conversations téléphoniques, selon certaines informations.
En plus d'arrêter plusieurs grands pontes de la mafia (dont un homme qui pourrait, selon la police, n'être autre que le numéro un de la 'Ndrangheta, Domenico Oppedisano, 80 ans), l'enquête a, pour la toute première fois, permis aux autorités d'étudier les rouages de l'organisation.
Les policiers pensaient que la 'Ndrangheta était une organisation «horizontale», composée de groupes fonctionnant indépendamment les uns des autres ; ils estiment désormais que cette mafia dispose d'une structure verticale très stricte – d'une hiérarchie clairement établie et d'un conseil dirigeant chargé de prendre les décisions les plus importantes.
Lorsque les membres du groupe de Milan ont voulu prendre leur autonomie, leur chef fut exécuté sans autre forme de procès. «Le gouvernement provincial l'a licencié», pour reprendre la formule employée par un ponte sur l'un des enregistrements.
Les informations réunies dans le cadre de cette affaire sont si détaillées et d'une telle qualité qu'elles permettront sans doute de percer le voile du mystère qui entoure le fonctionnement interne de la 'Ndrangheta.
De nombreux hommes politiques transalpins continuent de promouvoir et de bénéficier d'un système fait de corruption et favoritisme – système qui offre une multitude de possibilités économiques aux organisations mafieuses de type 'Ndrangheta.
C'est pour cela que la quasi-totalité des réformes de la justice pénale des seize dernières années vise à réduire les prérogatives du procureur, a édulcorer les législations anti-mafia et anti-corruption, et surtout à rendre extrêmement complexe les enquêtes dirigées contre les hommes politiques eux-mêmes. Seize années, autrement dit, depuis l'entrée en scène politique du premier ministre Silvio Berlusconi, lui-même mis en cause dans plusieurs affaires de corruption ; c'est loin d'être une coïncidence.
Jugez par vous-même : le jour du coup de filet contre la 'Ndrangheta, les journaux italiens parlaient tous d'une autre affaire, impliquant plusieurs hommes politiques influents et des hommes d'affaires proches du gouvernement. Ils ont été mis en examen pour avoir créé une sorte de gouvernement parallèle au sein même du gouvernement. Leurs buts : avoir la mainmise sur les marchés publics, influencer le système judiciaire et utiliser de fausses informations pour intimider ou diffamer des opposants politiques.
Des bâtons dans les roues
Face à de tels évènements, on aurait pu s'attendre à ce que le pouvoir réagisse. Berlusconi, lui, a choisi de soutenir avec acharnement une nouvelle loi qui, si elle était adoptée, compliquerait les demandes faites par les juges d'instruction de mise en place et de maintien d'écoutes téléphoniques, qui furent, inutile de le préciser, la pierre angulaire de l'enquête sur la 'Ndrangheta et du scandale des éoliennes.
Le projet de loi proposé par Berlusconi rendrait illégale l'utilisation des appareils d'écoute dans la plupart des cas. La loi prévoirait des exceptions (la mafia, le terrorisme) mais les juges d'instruction anti-mafia ont unanimement critiqué le projet ; ils y voient un important obstacle potentiel à leur travail.
Le projet de loi prévoit également de lourdes peines à l'encontre des journalistes et des éditeurs qui décideraient de publier des comptes rendus d'écoutes avant qu'une affaire ne passe au tribunal : prison pour les journalistes et lourdes amendes pour les éditeurs.
Ces mesures ont clairement pour but de mettre fin à l'embarras de Berlusconi et à celui de ses associés, qui ont été surpris à plusieurs reprises en train de parler avec des suspects dont les téléphones étaient sur écoute. Si les conversations n'impliquant aucune infraction pénale ne pouvaient plus être enregistrées, la conduite discutable de certains hommes politiques (comportement inconvenant, abus de bien social ou dangereuse amitié avec un escroc) serait passée sous silence.


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