«Toute tentative d'arriver au pouvoir par un coup d'Etat conduirait à la guerre civile.» C'est par cette phrase que le président contesté Ali Abdallah Saleh a mis en garde hier contre le risque d'une guerre civile au Yémen. L'homme, de plus en plus isolé, a estimé que les divisions au sein de l'armée étaient néfastes pour le pays. Il l'a dit devant les commandants des différentes unités qui lui sont restées fidèles. La déclaration a été transmise par la télévision publique. «Ne vous résignez pas à la dictature de l'information et préservez la sécurité et la stabilité du pays», a dit le Président. Il faisait certainement allusion à la tendance pour les généraux qui ont fait défection d'apparaître et de le dire aux télévisions, notamment la télévision du Qatar, Al Jazeera. «Les officiers et les diplomates (qui ont fait défection) tombent comme les feuilles mortes», a-t-il déclaré, estimant qu'«il n'est pas trop tard pour eux de revenir à la raison». Il est vrai que les défections n'ont pas manqué ces deux derniers jours. Malgré la promesse du chef de l'Etat de démissionner d'ici la fin de l'année dans le cadre d'un transfert «constitutionnel» de pouvoir, à l'issue d'élections législatives et la formation d'institutions démocratiques, les défections d'officiers et de fonctionnaires se sont poursuivies hier au Yémen. Des militaires et des fonctionnaires se succédaient à la tribune sur la place de l'Université, à Sanaa, pour annoncer leur ralliement à la «révolte des jeunes». La veille, des chefs de l'armée, dont le général Ali Mohsen El Ahmar, responsable du nord-est, qui comprend la capitale, avaient annoncé leur ralliement à la contestation populaire du président Ali Abdallah Saleh. De son côté, le plus important chef tribal au Yémen, cheikh Sadek El Ahmar, a appelé pourtant le Président à une «sortie honorable», dans une déclaration à la chaîne satellitaire Al Jazeera. Un groupe de 60 officiers de l'armée originaires de la province de Hadramout, dans le sud-est du pays, ont d'autre part décidé de se joindre à la protestation contre le régime. Ils sont loin d'être les seuls, les ambassadeurs du Yémen en Arabie Saoudite et au Koweït ont annoncé se joindre au mouvement. Cinq ambassadeurs en Europe ont à leur tour demandé au Président de démissionner. En dépit de ces défections en chaîne, Ali Abdallah Saleh a assuré que la «majorité du peuple» le soutenait. Aux jeunes, qui continuent de manifester et de lui tenir tête, le Président a dit qu'ils étaient «victimes de forces politiques vieillissantes comme les nassériens, les communistes et les houthis», les rebelles chiites dans le nord du pays. Sur le terrain, des chars relevant des unités de l'armée fidèles au général El Ahmar étaient déployés autour de la Banque centrale, du siège du Congrès populaire général (CPG, parti de M. Saleh) et d'installations vitales à Sanaa. Dans le même temps, des blindés appartenant à la garde présidentielle, dirigée par le fils du Président, Ahmed, et aux forces spéciales, commandées par son neveu Tarek Saleh, étaient déployés autour du palais présidentiel. Les forces armées yéménites ont assuré qu'elles empêcheraient toute atteinte à «la légalité» à l'issue d'une réunion du conseil de défense présidée par le chef de l'Etat, Ali Abdallah Saleh. Côté diplomatie, le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a affirmé que l'instabilité au Yémen pourrait entraîner un relâchement de la lutte contre Al Qaïda dans ce pays, soulignant que la situation était toutefois préoccupante. La réaction la plus virulente est venue de Paris. Depuis lundi, la France est devenue le premier pays occidental à réclamer ouvertement le départ du président yéménite. 3Il semble aujourd'hui que le départ du président Saleh est incontournable», avait affirmé le chef de la diplomatie française, Alain Juppé. A la suite de la dégradation des conditions de sécurité au Yémen, la France avait exhorté ses ressortissants à «quitter provisoirement le pays au plus vite». Beaucoup d'autres pays devraient suivre du fait que depuis le vendredi meurtrier à Sanaa, la communauté internationale s'attend au pire des scénarios.