Les jeunes de Climat de France, dans la commune d'Oued Koreiche (Alger) l'avaient promis : pour que l'APC et la police puissent démolir les 40 baraques qu'ils ont illicitement commencé à construire à partir de la mi-février 2011 dans un jardin public, il faudra leur marcher sur le corps. C'est ce qui est effectivement arrivé hier matin. Repoussés lors de la première tentative de démolition le lundi 7 mars, les élus locaux et les services de sécurité sont revenus à la charge et sont cette fois-ci allés jusqu'au bout de l'opération. Les constructions érigées en parpaing dans le jardin ont été en grande partie démolies sans toutefois toucher à celles réalisées sur les toits des bâtisses. Pour cela, il aurait fallu user de gros moyens. C'est ainsi que des centaines de policiers ont été mobilisés autour du jardin squatté et à la lisière de la cité, notamment du côté de Fontaine Fraîche, pour couper court à tout débordement. Des engins anti-émeutes y ont été également acheminés. L'intervention des autorités a eu lieu tôt le matin. Parallèlement, les habitants se préparaient à réagir. La route reliant Fontaine Fraîche à Triolet en traversant Climat de France a été en effet coupée à la circulation à hauteur de la mosquée où les jeunes ont mis le feu à des pneus usagés. Ils lançaient aussi des pierres contre les forces de l'ordre postées sur le flanc de la colline d'en face, tout en utilisant les bâtiments de la cité comme zone de repli. A l'intérieur, il y avait foule. En plus des jeunes et des enfants qui voulaient réellement en découdre avec la police, on rencontrait de nombreux spectateurs : des adultes, des écoliers en vacances depuis quelques jours, sans oublier les femmes aux balcons. La cité est vaste et sale. Les ordures sont un peu partout. Les bâtiments sont laids. Les extensions réalisées sur les terrasses sont légion, ce qui est un signe évident de la crise de logement. Les violents affrontements se sont toutefois produits au niveau du chantier des 40 baraques se trouvant à l'entrée de trois immeubles à usage d'habitation. Les contestataires – une cinquantaine – occupaient la cour intérieure tandis que des agents anti-émeutes formaient un barrage à l'une des trois sorties aussi bien pour leur interdire de quitter les lieux que pour couvrir l'intervention des éléments chargés de la démolition. Il fallait d'abord récupérer les tôles en zinc qui servaient de toit à ces nouvelles habitations précaires construites à la hâte au lendemain de la réunion qui a regroupé, le 14 février, les élus à l'APC, le nouveau wali délégué et des citoyens. Une pluie de pierres les a empêchés des progresser. L'entrée en scène des engins de travaux publics était indispensable, ce qui a créé un surcroît de mobilisation de part et d'autre. Les jets de pierres se faisaient denses et réguliers du côté des jeunes en furie. La police ripostait de même. Les bombes lacrymogènes n'ont pas été utilisées. A la place, on a préféré les balles à blanc. On a usé également de balles en caoutchouc qui ont blessé plusieurs personnes se trouvant dans la cour. L'un deux a reçu la balle dans la poitrine lui causant une légère blessure. A 9h45, le Poclain a démoli la première baraque. Mis devant le fait accompli, les jeunes, vraisemblablement «propriétaires» de ces bicoques, se firent encore plus violents. Plusieurs parmi eux ont pris place sur les terrasses des immeubles et ont commencé à lancer de toutes leurs forces des briques et des parpaings sur les agents anti-émeutes qui faisaient partie du barrage humain. Comme celui-ci était constitué au pied des bâtiments, les agents recevaient les briques et les parpaings sur la tête avec des boucliers en plastique comme seule protection. Ils n'ont dû leur salut qu'à la mobilisation de leurs collègues qui s'étaient mis de leur côté à lancer des pierres sur les personnes, cinq en tout, qui étaient sur les différents toits afin de les obliger à battre en retraite. Tout de suite après, ils les ont épaulés afin de les tirer de la zone du danger. Ils se sont écroulés sur les trottoirs environnants, avec leurs boucliers en morceaux. Harcelés continuellement, obligés de s'en tenir à une position de quasi-passivité devant l'acharnement des jeunes, les policiers ont commencé à perdre patience. Ils ont fini par foncer dans le tas et parvenir jusqu'au toit de l'immeuble le plus proche du jardin. Les habitants qui occupaient la cour intérieure ont été obligés de s'éloigner sous les jets de pierres de la police. Dans l'après-midi, les affrontements à coups de pierres ne s'arrêtaient pas. Tâche d'huile La situation est toujours tendue dans le quartier. Des jeunes promettaient de revenir à la charge dans la nuit. Parmi la population, les avis sont partagés. Les auteurs de cette entreprise de squat d'un lieu public ont été désavouées. Leur droit à un logement est par contre reconnu par tous. Dans les discussions, c'est souvent la wilaya qui est prise à partie. Elle est violement attaquée à cause du programme qu'elle a lancé en 2010 et qui porte sur l'éradication progressive des bidonvilles installés dans les communes du chef-lieu de la capitale, notamment à travers l'affectation de 12 000 logements sociaux-locatifs dont 10 000 ont été réellement distribués jusqu'en décembre. C'est d'ailleurs dans le cadre de ce plan que la commune d'Oued Koreiche a pu recaser plus de 1000 familles issues de trois sites précaires : Sonatro, Fontaine Fraîche et la Beaucheraye. La priorité accordée aux familles des bidonvilles dans l'accès au logement public a provoqué la colère des locataires des immeubles collectifs qui s'estiment plus à même d'obtenir ce toit tant désiré d'autant qu'ils n'ont jamais réagi illégalement pour l'avoir, contrairement à d'autres qui ont construit dans des bidonvilles. A Climat de France, la population a fini par comprendre que le seul moyen d'obtenir un appartement, c'est à travers la construction d'un gourbi. Le deuxième enseignement tiré de l'application du plan anti-bidonville, c'est que les autorités réagissent proportionnellement au degré de violence provoquée dans tel ou tel quartier. Diar Echems, dans la commune d'El Madania, où plusieurs émeutes ont été enregistrées, en est un parfait exemple. Sur les 12 000 logements à distribuer, Diar Echems s'est vu affecter plus de 1000 unités en trois phases. Malgré les professions de foi du wali, la population ne s'exprimait que dans la violence quand s'agit de revendiquer son recasement dans des habitations décentes. En décembre, plusieurs quartiers ont ainsi connu les «émeutes du logement», à l'instar des Palmiers (Bachdjarrah), Laâkiba (Mohamed Belouizdad) et Diar El Baraka (Baraki). Le même scénario est en train de se produire à Diar El Mahçoul, dans la commune d'El Madania. Autant dire que, s'agissant du logement dans la capitale, la situation est au bord de l'explosion. La construction illégale de baraques à Oued Koreiche a fait tâche d'huile. Dans d'autres communes d'Alger, des APC ont été averties par des citoyens qui les menaçaient de faire «comme à Oued Koreiche» si on ne leur affecte pas un logement dans les plus brefs délais. En intervenant à Climat de France, les autorités cherchent à faire passer un message : désormais, l'accaparement des lieux publics à travers la construction de masures ne sera tolérée ni à Oued Koreiche ni ailleurs.