«Mes filles sont devenues soudainement les filles du terroriste» ! Ce regard impitoyable que les camarades de l'Institut américain de Barcelone jetaient désormais sur ses quatre filles, Mohamed Omar Dehbi le vit très mal, comme il le confie dans une interview qu'il a accordée hier matin à El Pais. C'était dès le lendemain de l´arrestation de ce ressortissant algérien, de nationalité américaine, en septembre 2010 à Barcelone. Une «affaire de terrorisme» surmédiatisée par les chaînes de télévision, de radio et les journaux à grand tirage, non seulement en Espagne mais dans la plupart des pays occidentaux, aux Etats-Unis notamment. En plus, la conjoncture était des plus favorables à cette campagne de lynchage médiatique de ce père de famille qui était poursuivi pour «financement du terrorisme» d'Al Qaïda, avant que le juge d´instruction Santiago Pedraz ne prononce, le 22 mars, le non-lieu en sa faveur pour «insuffisance de preuves». Le mal est fait, car l´opinion publique espagnole avait toujours en mémoire l´enlèvement, le 29 novembre 2009, par Al Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), de trois ressortissants catalans. Ces derniers venaient à peine d'être libérés, en février de l´année dernière, contre paiement de rançon par le gouvernement espagnol, en plus de la remise en liberté sur pression de Madrid, de Omar Sahraoui, l´auteur de leur enlèvement, qui se trouvait alors incarcéré à Nouakchott. La police espagnole a-t-elle joué sur cette sensibilité ? C'est vraisemblable car cette méthode, elle l'a souvent employée pour tenter de faire inculper les dizaines de citoyens algériens qu'elle a arrêtés depuis septembre 2001, mais dont beaucoup gardent encore des séquelles morales et psychologiques. L'interrogatoire de police Si beaucoup ont renoncé à faire valoir leurs droits face au mur du silence judiciaire en Espagne, après deux années et plus de détention abusive et sans preuves, Omar Dehbi a choisi, lui, de se battre. Pour ses filles, surtout. Il a décidé de demander réparation à la justice espagnole. Le quotidien El Pais est le seul de tous les médias qui ont pris part à son lynchage médiatique à lui avoir ouvert, hier, ses colonnes. «Dans son rapport, la police m'accuse d´avoir transféré 60 000 euros en Algérie» sur le compte de l'un de ses amis de longue date, Toufik Mizi, une somme destinée, selon elle, aux terroristes, alors que durant tout l'interrogatoire, il n´a été question que du transfert de 1600 euros à justifier», dit-il, ajoutant que «cette affaire a été aussi un enfer pour mes enfants». C'est ce qui lui est le plus insupportable, même s'il a dépensé toutes ses économies pour assurer sa défense. Présomption d'innocence bafouée «Je veux des excuses publiques du gouvernement espagnol», faute de quoi «je porterai l'affaire devant le Tribunal des droits de l'homme de Strasbourg». Cette institution judiciaire européenne a souvent condamné l'Espagne pour ses dépassements en matière de violations des droits des ressortissants étrangers hors Union européenne. Un porte-parole du ministère espagnol de l´Intérieur a tenté de justifier la publication des renseignements sur les «suspects de terrorisme» pour ne pas être «accusés par les médias d'occulter des informations relevant de la lutte antiterroriste». Pourtant, beaucoup de pays européens, comme l'Allemagne, sont fermes sur la présomption d´innocence et ne divulguent les renseignements des inculpés (photos, identité, etc.) qu'une fois faite la preuve de leur culpabilité. Pour toute réponse à ces dépassements irréparables moralement, des «sources policières» ont évoqué l'incapacité qu'il y a dans les affaires de terrorisme à «vérifier les chefs d'inculpation devant les juges». Pour Omar Dehbi, ce ne sont pas là de minces accusations : «En tant qu'Algérien, être accusé de financement du terrorisme, c'est être un traître», écrit-il dans la réponse qu'il a adressée au ministère espagnol de l'Intérieur.