Téhéran semble encore loin, mais ceci n'empêche pas les pays du Golfe de tenir la dragée haute aux mollahs. Après le «complot» que le Bahreïn a annoncé avoir déjoué de justesse, suivi d'une brouille diplomatique sans précédent avec le régime chiite iranien, ce sont les Koweïtiens qui entrent dans la danse. Ils viennent d'expulser trois diplomates iraniens pour «espionnage», leur immunité diplomatique leur a évité de comparaître devant la justice koweïtienne. La République islamique d'Iran a fait vite d'étouffer le feu sous la paille, le Koweït est un pays ami des mollahs d'Iran. Pas tout à fait. Sans le dire clairement, les pays du Golfe tiennent en horreur le fait que l'Iran chiite, qui n'a jamais caché ses ambitions de rétablir son hégémonie sur tout le Moyen-Orient, profite du «printemps arabe» pour déstabiliser les pouvoirs en place, aux mains des sunnites. Allié de l'Amérique, la 5e flotte US y baigne dans ses eaux territoriales, le Bahreïn a appelé les Saouds à l'aider à faire face à une tentative de déstabilisation. Néanmoins, si le petit émirat a osé ce pas, ce n'est pas pour mater les milliers de manifestants sur la place de la Perle, mais plutôt pour prouver à l'Iran chiite que la communauté des pays du Golfe n'est pas prête à se laisser marcher sur les pieds. Et que si, actuellement, certains de ses membres participent aux opérations militaires en Libye, le Qatar et les Emirats arabes unis, c'est que quelque part cette même communauté croit dur comme fer en un réformisme en douce du monde arabo-islamique. Cela sans pour autant nier le traditionalisme et le conservatisme ancestraux qui régissent les sociétés concernées. Souvenez-vous, bien avant que le vent des révoltes se mette à souffler fort sur le monde arabe, un câble de Wikileaks avait révélé que certains pays du Golfe avaient même demandé aux Etats-Unis d'entreprendre une invasion militaire contre la République islamique d'Iran. Au-delà du fait que ceux-là aspirent à un programme nucléaire militaire, l'appel secret à Washington s'explique également par l'influence croissante du régime de Téhéran qui jouerait la carte du «déséquilibre confessionnel» chez les pouvoirs sunnites de la région. Ainsi, le «printemps arabe» aurait eu le mérite de révéler au grand jour cette guerre Iran-USA dont alliés et relais respectifs mèneraient via des slogans contradicteurs : la démocratisation à l'occidentale contre le rétablissement, à pas forcés, du socialisme dans sa version bolivarienne. D'où la pertinence des craintes du maître de Caracas. Ultérieurement au scénario de guerre dans la Jamahiriya libyenne, Hugo Chavez redoute que la grande offensive de l'Occident et de ses alliés arabes modérés gagne Damas, son homologue syrien s'étant refusé à engager dans l'immédiat des réformes démocratiques qu'il devait initier au lendemain de son accession au «trône familial», estimant que les «conspirationistes» vont devoir s'arrêter là. Pis, le Président vénézuélien appréhende le fait que demain les révoltes arabes puissent s'exporter vers l'Amérique latine. Avant même son passage par le bazar de Téhéran ? Le chantre du néo-socialisme mondial et de l'anti-impérialisme US sait de quoi il parle. Bien que la chute du régime de Bachar Al Assad n'est pas prévue dans les quelques mois à venir, le fait déjà d'engager des réformes démocratiques chez le régime alaouite ressemblerait à une «capitulation» offerte à l'Occident sur un plateau en argent. Les remparts doivent résister le plus longtemps possible contre cet envahissant néo-libéralisme occidental, aussi bien sur le plan politico-économique que sur le plan socioculturel. Combien de temps tiendront-ils encore alors qu'à chaque chute de régime arabe, l'Etat hébreu prétend craindre le vide politique qui s'ensuit ? La guerre va durer au nom d'une paix façonnée à l'image du Moyen-Orient de demain.