Le bilan ne cesse de s'alourdir. Hier, douze personnes ont été tuées par balle lors de gigantesques funérailles des victimes de la répression féroce qui, la veille, a coûté la vie à plus de 80 personnes. Plus de 110 personnes ont été tuées, selon le dernier bilan d'un groupe d'opposition qui donne l'identité de chacune des victimes. A Douma, à 15 km au nord de Damas, cinq personnes ont été tuées par des tirs de «francs-tireurs» postés sur des immeubles au passage du cortège funèbre qui se rendait de la mosquée au cimetière, selon un témoin et un militant des droits de l'homme. Dans la région de Deraa, à 100 km au sud de la capitale syrienne, où est né le mouvement de contestation, cinq autres personnes ont été tuées «par les forces de sécurité qui ont tiré à balles réelles sur les habitants se rendant vers Ezreh pour assister aux funérailles ainsi que devant l'hôpital de Deraa», a indiqué un autre militant. Une personne a perdu la vie à Damas. Des dizaines de milliers de Syriens en deuil participaient aux obsèques des victimes des manifestations de la veille. Par milliers, des personnes avaient quitté hier matin Deraa et ses environs pour participer aux funérailles de manifestants tués lors de rassemblements hostiles au régime à Ezreh. «Plus de 150 bus sont partis de Deraa et des villages voisins pour participer aux enterrements des 18 martyrs tombés vendredi à Ezreh», selon un militant des droits de l'homme. Les obsèques se dérouleront après la prière du midi et seront suivies d'une manifestation gigantesque contre le pouvoir. Suite à un premier bilan de 70 morts, le bilan s'est aggravé hier. Le Comité des martyrs de la Révolution du 15 mars, un groupe de militants formé pour recenser les victimes du mouvement de contestation, a publié une liste nominative de 82 personnes tuées par les tirs des forces de sécurité, dont des enfants et personnes âgées. Ce comité affirme procéder à des vérifications notamment à Lattaquié, principal port syrien à 350 km au nord-ouest de Damas, où «le bilan pourrait être très élevé». Un autre groupe de militants des droits de l'Homme fait état de 92 morts dans un communiqué publié sur la toile. Sur le plan politique, le Parti socialiste a demandé hier «une réunion urgente du Conseil de sécurité de l'ONU afin de protéger la population civile» syrienne et aux Vingt-sept de l'Union européenne de «prendre immédiatement des sanctions contre la Syrie», la formation politique condamnant «la répression criminelle du régime de Bachar Al Assad». Par ailleurs, deux parlementaires syriens indépendants, Nasser Hariri et Khalil Rifaï, ont déclaré hier en direct à la télévision qatarie Al Jazeera avoir démissionné du Parlement pour protester contre la répression sanglante des manifestations. «J'annonce ma démission du Parlement», a déclaré à l'antenne M. Rifai, élu de la ville de Deraa, l'un des foyers de la contestation du régime. Il a motivé son acte par son impuissance à «protéger les gens qui l'ont élu.» Peu auparavant, M. Hariri, lui aussi élu de Deraa, a également annoncé sa démission sur la chaîne, avançant le même motif. «J'appelle instamment le président à intervenir», a-t-il déclaré. Sur le registre diplomatique, le président du parti radical de gauche français, Jean-Michel Baylet, a demandé hier au président Nicolas Sarkozy de rappeler l'ambassadeur de France à Damas, et de «prendre rapidement une initiative pour ramener le pouvoir syrien à la raison». «La violence de la répression en Syrie est en train d'entraîner ce pays sur une pente dangereuse et de plus en plus irréversible», écrit-il aussi dans un communiqué. La répression des manifestations a fait près de 300 morts en cinq semaines de protestation. Les promesses de réformes de Bachar Al Assad, dont la levée de l'état d'urgence et l'autorisation de manifester pacifiquement, n'ont pas eu l'effet escompté. Pis, le mouvement de contestation ne finit pas de se radicaliser, passant d'un appel à des réformes démocratiques au renversement de régime qui a inspiré les révolutions en Tunisie, en Egypte et actuellement au Yémen.