Abdelhamid Mehri, vieux routier de la politique algérienne, doute de la volonté des dirigeants d'aller vers un changement pacifique du régime, malgré l'annonce faite le 15 avril par le président de la République de procéder à des «réformes profondes» dans la gestion des affaires du pays. Y a-t-il une réelle volonté de réformer ? «Il est difficile de trancher, mais jusqu'à maintenant, cette volonté n'y est pas», a répondu M. Mehri, l'invité, jeudi soir, de l'espace de débat «Mille et une news» ouvert par le quotidien Algérie News en son siège à l'occasion du Ramadhan. Pour l'ancien secrétaire général du FLN, si réformes il y a, elles doivent avoir comme objectif le changement en douceur du régime qu'il décrit comme un ensemble de réflexes, de pratiques et de principes pervers. «Tous les Algériens sans exception aspirent grandement au changement de la situation actuelle. Cette revendication va modeler l'avenir», a dit le conférencier. Pourquoi changer ? L'ancien ambassadeur d'Algérie à Paris rappelle ce qu'il déjà dit à ce propos, à savoir que le régime actuel est inapte à résoudre les épineux problèmes de notre pays qui sont multiples et complexes, et encore moins à le préparer efficacement aux défis de l'avenir qui sont encore plus ardus et plus graves. Cette inaptitude est décelée par exemple dans son incapacité de mettre en place une politique économique viable et pérenne. La volonté de créer une économie hors-hydrocarbures date des années 70, mais rien n'a été fait à ce jour, constate-t-il. D'ailleurs, le chef de l'Etat, en auditionnant mercredi 3 août le ministre de l'Energie, a rappelé la nécessité de diversifier l'économie nationale pour éviter «les effets d'une dépendance à l'égard des hydrocarbures». A ce titre, M. Mehri avertit : «Le pétrole va s'épuiser dans 40 ans. Cela veut dire que la génération actuelle va assister à cet épuisement. Si l'huile et le sucre ont provoqué les émeutes qu'on a connues (en janvier) dans tout le pays, qu'en sera-t-il de la fin du pétrole ?» «Nous avons besoin d'un régime qui est capable de mettre en place une politique économique saine et efficace», plaide-t-il. La déclaration du 1er Novembre 1954 De plus, l'homme ajoute sa voix à toutes celles qui s'étaient déjà exprimées, pour demander l'implication de tous les citoyens, sans exclusion, dans le processus du changement par leur consultation à travers un large débat national sur la question. «Normalement, les forces vives de la nation doivent adopter le changement comme principe de base et travailleront dessus», indique l'orateur. S'agissant de la manière idoine avec laquelle il faut réaliser ce processus, M. Mehri pense qu'il suffit de puiser dans la riche expérience algérienne, plus précisément la guerre de la Révolution. L'ancien ministre au Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) trouve que le pays a réussi à arracher son indépendance pour deux raisons, à savoir que le projet – la création d'un Etat démocratique et social dans le cadre des principes islamiques – était viable et qu'il y a eu un travail dans le sens de rassembler les Algériens autour de cet objectif. Mais après l'indépendance, nuance-t-il, le système de gouvernement s'est fondé sur une analyse erronée des exigences de cette phase de construction de l'Etat. A la place de la stratégie de rassemblement énoncée dans la déclaration du 1er Novembre 1954, certains dirigeants de la Révolution avaient opté, en 1962, pour une conception politique d'exclusion. «Depuis 1962, le régime politique est fondé sur l'exclusion», constate-t-il. Pour «parachever la construction d'un Etat démocratique et social», M. Mehri prône donc le retour à la déclaration du 1er Novembre 1954 et agir en conséquence. Autrement dit, rassembler à nouveau les Algériens autour de ce nouveau défi : le changement.