Pour marquer le 50e anniversaire de la manifestation du 17 octobre 1961 des émigrés algériens à Paris, réprimée dans le sang par la police de Maurice Papon, le quotidien gouvernemental «Echaâb» a abrité hier en son siège une conférence de presse avec comme thème principal «Le 17 octobre, histoire et revendication». La rencontre s'est terminée au bout d'une heure et demie sur deux réalités : il y a d'abord la faim de la connaissance sur le déroulement et de cette manifestation, et puis il y a la faim tout court. Prévue à 11h, la conférence n'a commencé qu'une fois midi passé, à cause d'une programmation hasardeuse. La salle se vidait à mesure que le temps passait. De plus, pour le besoin du rendez-vous, les organisateurs ont invité deux personnalités : Fatma Ouzegane et Amar Belkhodja. Mme Ouzegane était moudjahida dans les wilayas historiques III (Kabylie) et IV (Algérois). Durant l'été dernier, elle a soutenu le «combat» des habitants du Bois des Pins, dans la commune de Hydra (Alger), qui s'étaient élevés contre l'implantation par la wilaya au bas du quartier d'un parking à étages pour véhicules ; un projet finalement maintenu sur décision de justice. M. Belkhodja avait 20 ans à l'indépendance. Il est auteur après avoir été journaliste pendant 25 ans au quotidien gouvernemental El Moudjahid. Les deux invités n'ont donc ni vécu «le crime d'Etat» du 17 octobre, ni travailler dessus comme sujet de recherche. Aussi, ce n'est pas sans raison que le modérateur de la conférence a invité Mme Ouzegane a retracé plutôt son parcours de militante pour l'indépendance. En tenue d'été, des lunettes de soleil en serre-tête, la blonde s'y exerce de façon expéditive. «En 1954, vous savez tous ce que c'était passé. Puis il y a eu la guerre. Il y a aussi cette manifestation du 17 octobre que vous connaissez tous. Mais malgré cela, la France refuse de reconnaître ses crimes. Kouchner (ancien ministre français des Affaires étrangères) a dit que les relations entre les deux pays deviendraient normales après le départ de la génération de la guerre. Moi, je lui dis qu'il se trompe», déclare-t-elle en substance. La moudjahida rend la parole après quelques minutes seulement mais sans que personne ne la saisisse. Une des organisatrices de la conférence profite de cette confusion pour lancer un appel : «Il y a une Yaris noire qui est mal stationnée sur la route (boulevard des Martyrs). La police est en train de la remorquer pour la transférer à la fourrière». Son propriétaire quitte la salle à toutes jambes. M. Belkhodja finit par prendre la parole. «Le 17 octobre 1961 est l'épilogue d'un cortège de massacres perpétrés par l'armée coloniale depuis l'invasion du pays en 1830», soutient-t-il. L'ancien journaliste évoque alors longuement le parcours de plusieurs officiers français de l'époque qui ont commis des boucheries et semé la désolation dans le pays. Il cite notamment Saint Arnaud, Achiary, Neagelen, Lacoste, mais s'attarde sur Maurice Papon, ancien préfet de Constantine (1949-1950), futur préfet de police de Paris (1958-1967). Pourquoi cette férocité contre les marcheurs du 17 octobre ? interroge-t-il. Il a commencé à répondre à sa propre question quand le modérateur lui a tendu une feuille. Tout de suite après, M. Belkhodja met brutalement fin à sa communication et tout le monde a compris qu'on vient de l'inviter à conclure. Un murmure de désapprobation a immédiatement parcouru la salle. Son silence a permis à l'assistance d'entendre ce qui se disait dans la première rangée. «Celle-là je la connais, elle habite les Eucalyptus !», lance à haute voix un homme âgé. On y fait les présentations ! Le débat qui a suivi les deux interventions a été axé sur une question passée de mode, à savoir que les nouvelles générations ne connaissent rien à l'histoire de leur pays. Comme on le voit : personne n'a réellement parlé du 17 octobre 1961.