Le ministre français des Affaires étrangères du pays donneur de leçons en matière de respect des droits de l´homme, Alain Juppé, s´est «réjoui» de ces scènes de lynchage populaire à Syrte du cadavre ensanglanté qui paraissait bien être, en effet, celui du colonel Kadhafi selon ces images d´amateurs. Pour une personnalité politique de ce rang qui parle aussi le langage commun «tout le monde libre» attaché aux valeurs humanitaires, par principe hostile à la peine de mort, ces propos sont tout simplement indécents. Un minimum de retenue dans les réactions officielles à chaud des dirigeants occidentaux n´aurait pas été de trop, au regard des conditions dans lesquelles a été exécuté le guide de la Révolution libyenne. Il s'agit, en effet, d'une exécution. En aucun cas, une mort intervenue sur le terrain des affrontements, car Kadhafi n´est pas décédé suite à un acte de guerre, même s´il était à la tête de ses partisans. Il a bien été exécuté par des hélicoptères français à Syrte, au moment où les dirigeants insurgés l´annonçaient un peu partout, ici et là, non loin des frontières de la Libye avec le Niger, le Mali ou l´Algérie. Une violation des résolutions 1970 et 1973 Les services de renseignements, omniprésents sur tout le territoire libyen, eux, savaient exactement l´endroit où il se trouvait. Kadhafi vivant ou prisonnier, la guerre de Libye ne serait pas terminée. Sa mort était programmée, au départ, alors que les Résolutions 1970 et 1973 du Conseil de Sécurité de l´ONU sur la Libye ne la prévoyaient pas. C´est toute la frustration de la France qui avait hâte d´en finir avec un conflit de «quelques semaines», avant même de l´avoir commencé, selon les prévisions annoncées publiquement par Alain Juppé. Un conflit armé de plus trop coûteux en cette période de crise économique et financière qui a forcé Paris à entreprendre «prématurément», depuis mercredi, le retrait de ses troupes en Afghanistan. Mais, à terme, un conflit rentable politiquement pour le président français et une affaire financièrement juteuse pour les entreprises françaises. Un cadavre donné en pâture aux insurgés Apparemment, Nicolas Sarkozy a pris exemple sur Barack Obama qui a instruit le commando des G´IS de ne pas capturer vivant Ossama Ben Laden. Il a donné l´ordre de bombarder le dernier convoi qui sortait à l´est de Syrte, au moment où la ville natale de Kadhafi tombait entièrement aux mains des insurgés. Le cadavre de Kadhafi a été donné pâture aux insurgés en colère, un peu comme George Bush a livré Saddam Hussein à El Maliki pour le pendre haut et court. Peu importe si des proches, des femmes ou des enfants soient dans le convoi. Le président français et son ami britannique David Cameron se sont dit «soulagés», comme si la guerre était déjà finie, après ce plus que controversé acte de sauvagerie qui est, en fait, une exécution pure et simple. Un travail de professionnels bien rodés à l´art de la guerre totale et dévastatrice qui sont en même temps experts dans les bombardements «chirurgicaux». La méthode israélienne C´est la méthode utilisée par l´armée israélienne pour cibler, déjà dans les années soixante-dix, des dirigeants palestiniens au Liban ou à Ghaza, avec un maximum de dommages collatéraux calculés parmi leurs proches. Une méthode qui a séduit les Européens. Depuis, le ciblage sélectif de l´«ennemi» figure dans les annales des académies militaires des écoles de guerre de l´OTAN d´où sont sortis les officiers pilotes qui ont ciblé Kadhafi. Ce qu´ils ont fait d´ailleurs depuis le début de la guerre de Libye en visant toutes les résidences supposées du leader de la révolution libyenne à Tripoli, à Benghazi ou à Syrte. Sans se poser de questions si cette guerre chirurgicale allait faire ou non des victimes au sein de la famille du dirigeant libyen. Depuis les bombardements de Tripoli en 2002 par l´armée des Etats-Unis et du Royaume-Uni, beaucoup de membres de la famille de Kadhafi ont été massacrés de cette manière. Jeudi, ce fut le tour du dirigeant libyen. Amère «victoire» En fait, Kadhafi était conscient du danger qu´il encourait. Il l´a dit et répété aux dirigeant occidentaux qui voulaient lui laisser une porte de sortie dans le déshonneur pour ensuite le conduire devant le Tribunal Pénal International. Personne ne peut dire cette fois que le dictateur libyen bluffait. Comme promis, il n´a pas quitté son pays, ni son pouvoir, ne s´est pas rendu et a lutté jusqu´à la mort. Comme il l´avait dit. C´est ce qui rend quelque part cette «victoire» un peu amère pour ceux qui voulaient l´humilier. Kadhafi ne donnera pas l´occasion à ses ennemis de lui réserver le sort qui a été réservé à Saddam Hussein, celui qui attend Moubarak ou celui qui sera probablement celui de Ben Ali. Le bilan de ses 42 ans de pouvoir absolu a, sans doute, traumatisé la majorité des Libyens. La raison qui a poussé tant de citoyens à se révolter contre ce régime totalitaire est légitime. Dans le cas de la Libye, la légitime défense des populations qui ont pris les armes ne peut en aucun cas être remise en cause. C´est plutôt les raisons hypocrites des dirigeants occidentaux intéressées de récupérer le «Printemps arabe», histoire de se positionner dans cette nouvelle configuration politique d´une région où les peuples se sont insurgés, précisément, contre les dirigeants que les occidentaux leur ont choisis. Kadhafi est mort, et après ? Aujourd´hui, Kadhafi est mort, Seif el Islam le sera sans doute à son tour et tous les fidèles de l´ancien régime. On est sans nouvelles de Ben Ali, Moubarak agonise de bonne foi ou joue la comédie sur son brancard, et les jours du régime d'El Assad en Syrie sont comptés. Peut-on, pour autant, conclure que la partie du Monde arabe au programme des réformes initiées à Washington ou Paris va dans la bonne direction ou que le monde occidental a gagné la «confiance» des peuples arabes lorsque Washington, Paris et Londres, en fidèles alliés de Netanyahu, s´emploient depuis 1947 à bloquer les aspirations du peuple palestinien à avoir leur propre Etat ? Sarkozy a dit juste quand il affirme, dans le bonheur de la naissance de sa fille et simultanément dans le soulagement de la mort de Kadhafi, qu´une «ère vient de s´achever en Libye». Sait-il au moins de quoi sera faite celle qui s´annonce ! Bush avait dit la même chose de l´Irak dès la pendaison de Saddam Hussein. La suite, on la connaît.