Dans une interview exclusive accordée à Efe, le président sahraoui s'est interrogé sur la réaction de satisfaction exprimée par le gouvernement marocain à l'annonce de l'enlèvement de deux ressortissants espagnols et d'une Italienne, le 22 octobre à Rabouni (Tindouf), par un groupe armé composé d'une dizaine d'hommes. Il s'agit de Ainhoa Fernández de Rincón, de l'Asociación de Amigos del Pueblo Saharaui de Extremadura, et de Enric Gonyalons, de l'ONG Mundobat, ainsi que de l'Italienne Rosella Urru. «Ils sont venus de très loin !» La méthode utilisée par ce groupe terroriste ne fait aucun doute à ses yeux, il s'agit d'Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Mohamed Abdelaziz s'est voulu «prudent» car il n'exclut pas que les preneurs d'otages qui «sont venus de très loin» aient bénéficié d'un soutien direct ou indirect d'une puissance régionale. «Le premier véhicule est resté à 70 km des camps de réfugiés alors que le second a pénétré à Rabouni où des hommes armés ont enlevé les trois victimes», a indiqué le leader du Front Polisario. «On sait seulement que ces hommes étaient venus du Nord du Mali et qu'ils avaient pu pénétrer dans la résidence des volontaires après avoir maîtrisé les deux gardes», a-t-il dit, en tenant à faire observer que ces «seuls éléments dont nous disposons ne nous permettent pas d'identifier les auteurs de cet enlèvement». Les manœuvres de Rabat Aqmi ? Des ravisseurs isolés intéressés par l'argent ? Un groupe de mercenaires à la solde d'une puissance ennemie de la cause sahraouie ? La réponse à cette question encore en suspend conduit inévitablement à la piste Aqmi. Cette organisation terroriste a-t-elle agi seule ? Pour le moment, les Sahraouis s'interrogent et enquêtent. Des zones d'ombre subsistent. Ils se demandent, surtout, qui a intérêt au succès de cette opération qui a visé des bénévoles engagés dans une mission humanitaire civile au profit du peuple sahraoui. La réponse devient évidente, mais il faut des preuves. Le Maroc n'est pas encore pointé du doigt, à ce stade de l'enquête, mais l'allusion de Mohamed Abdelaziz est nette. «La réaction de satisfaction du ministre des Affaires étrangères, Fassi Fihri, donne à penser que le gouvernement marocain pourrait bien être derrière cet acte de terrorisme dirigé contre le peuple sahraoui», laisse entendre le président sahraoui, en faisant observer que le 25 octobre dernier à Rabat, devant son homologue espagnol, Fassi Fihri avait cherché à exploiter cet acte de terrorisme contre le Front Polisario et l'Algérie. N'est-ce pas, d'abord, le seul pays au monde à ne pas avoir condamné cette opération de prise d'otages ? Dans le passé, le chef de la diplomatie marocaine avait déjà fait véhiculer l'idée que le mouvement sahraoui a «des liens avec Al Qaïda». Le but d'une telle campagne diffamatoire, que la France et l'Espagne ont laissé suivre son cours, était destinée à verrouiller la cause sahraouie à l'ONU. Rabat a vainement tenté de faire inscrire le Front Polisario sur la liste des «organisations terroristes» dressée par les puissances occidentales. Ce qu'Israël a réussi à faire pour le mouvement Hamas palestinien. Cependant, aucun Etat occidental, même la France, son principal soutien dans l'affaire du Sahara occidental, n'a pris au sérieux l'amalgame marocain. Comme c'est de bonne guerre diplomatique, Mohamed Abdelaziz va donc renvoyer la balle au gouvernement marocain, en assurant d'abord qu'«Al Qaïda n'est pas dans les camps des réfugiés sahraouis». Cette prise d'otages suppose-t-elle désormais l'ouverture d'un second front pour le mouvement sahraoui qui lutte déjà depuis plus de trois décennies contre l'occupation militaire de 80% de son territoire par le Maroc ? «Ce type d'action terroriste, tout à fait inédit ici, n'est pas une production locale, il provient du Mali, un pays avec lequel nous n'avons pas de frontières», répond le leader sahraoui. Il s'est interrogé sur les intentions du gouvernement espagnol visant à recommander à ses ressortissants de ne pas se rendre à Tindouf. Madrid a «manœuvré» en invitant le HCR à enquêter sur les conditions de sécurité des volontaires des ONG dans les camps de réfugiés de Tindouf. Il compte saisir l'occasion de la présence des experts du HCR pour réclamer les moyens de renforcer les mesures de sécurité dans les camps de réfugiés et d'inviter le HCR à enquêter sur les violations des droits de l'homme dans les territoires occupés et le terrorisme pratiqué par l'occupant contre les aspirations du peuple sahraoui à l'indépendance. «Décourager l'aide internationale» Les organisations civiles ont déjà catégoriquement rejeté l'initiative de leur gouvernement, le 23 octobre, au cours d'une réunion avec les responsables du ministère des Affaires étrangères sur cette question. Pas question pour ces milliers d'humanitaires qui se rendent chaque année à Tindouf de suspendre leur soutien à la cause sahraouie et leur aide aux réfugiés ou encore de mettre fin à la multitude d'activités culturelles, sportives sur place qui leur permet de nouer des relations personnelles et familiales marquées par les séjours de milliers de vacanciers d'enfants sahraouis, chaque année, en Espagne. Le Maroc qui vient d'être élu pour deux ans (2012-2013) au Conseil de sécurité croit avoir désormais la tâche facile, avec l'aide de la France, pour paralyser le programme d'aide humanitaire et le soutien politique international à la cause sahraouie. «Tous les pays qui défendent le principe de la liberté et le respect des droits de l'homme doivent apporter, aujourd'hui plus que par le passé, leur soutien au peuple sahraoui», dira Mohamed Abdelaziz qui estime que «cette prise d'otages est dirigée d'abord contre le Front Polisario». Dans l'esprit du président de la Rasd, l'enlèvement des trois ressortissants européens sert de fait les intérêts de l'occupant marocain. Autrement dit, Aqmi a été instrumentalisée par le Maroc dont elle est objectivement l'allié. Pas celui du Front Polisario dont elle est l'ennemie.