«Nous avons remporté la bataille. Ils ont fui comme des rats», se félicitait Abdelhakim Belhaj, le commandant militaire des rebelles à Tripoli, après que ses hommes eurent pris le contrôle du quartier général de Kadhafi. Les hommes de Belhadj avaient de quoi pavoiser. Ils étaient revenus de loin. Moins d'une année plus tôt, ils étaient en prison, et c'est Seif Al Islam Kadhafi qui s'était chargé d'en libérer 300, lesquels avaient fait amende honorable et promis de ne plus appeler au djihad en Libye. Les négociations secrètes avec les références doctrinales du Groupe islamique combattant libyen - Gicl - avaient atteint leur but. Le «deal» était le non-recours à la violence contre leur libération. Mais le Gicl a fait beaucoup plus qu'une simple repentance. Ses maîtres à penser, dont Abdelhakim Belhaj, avaient publié une étude intitulé «Mourajaât Al-Jamaâ al libiya», et dont le contenu tendait à interdire désormais le recours à la violence sacré au nom de l'Islam. Paroles, paroles, paroles : un mois après leur libération, ils faisaient libérer l'aile pure et dure des islamistes détenus dans les geôles de Kadhafi, et partaient à l'assaut de Tripoli. Ce sont eux, dans une large mesure, qui ont entraîné Mustafa Abdeljalil, un simple pantin désarticulé entre leurs mains, à alterner accusations et attaques contre Alger. Tout était généré par le Gicl, et Abdeljalil, tout comme Mahmoud Jibril, du reste, ne faisait que répéter. Un passé très présent A partir de 1993, le Gicl se mettait sous les commandes du GIA. Des dizaines de représentants du Groupe armé combattant libyen sont venus combattre aux côtés du Groupe islamique armé en Algérie, dès 1994, à l'époque de Chérif Gousmi, «Abou Abdellah Ahmed», comme simples supplétifs. Ils étaient installés à l'est, mais aussi à Meftah, Cherarba et Larbaâ, dans le Centre du pays. Beaucoup sont morts dans des accrochages avec les unités opérationnelles de l'ANP. Les rapports de l'époque en font foi. Dans un document intitulé «Mon expérience dans le jihad algérien» – un document d'une portée inestimable, rédigé par le référent doctrinal d'Al Qaïda, à l'époque «Abou Mossaâb Es-Souri», il est fait état d'un renfort massif de Libyens au profit du GIA. Une autre délégation du Gicl, mais cette fois-ci composée de chefs, est venue voir Djamel Zitouni et discuter du djihad. La rencontre eut lieu à Chréa ou à Bougara, sur les contrebas des monts de Blida, selon les sources sécuritaires. Zitouni, devenu chef du GIA, ne portait pas en estime la «légion étrangère». La rencontre se termina par un clash, et les chefs libyens sont rentrés subrepticement chez eux la queue entre les jambes. On ne sait pas si Abdelhakim Belhadj faisait partie de la délégation des chefs du Gicl, mais il paraît invraisemblable que Djamel Zitouni, très imbu de sa personne, put rencontrer un autre chef que le chef principal du Gicl, Abdelhakim Belhaj en l'occurrence. Plus tard, Antar Zouabri va les dénoncer comme non salafistes, «ikhwanistes», et un tant soit peu «hérétiques». Dans un entretien publié dans l'opuscule «Al-Jamaâ» du GIA, dans le n° 10, daté de septembre 1996, il le dit clairement : une rencontre a eu lieu entre les chefs du Gicl et le chef du GIA, à l'époque, Zitouni. Après un dialogue théologique et hiératique entre les deux groupes, le GIA a constaté que le GICL était plutôt proche de la tendance des Frères musulmans égyptiens et ses attaches avec le salafisme étaient douteuses. A partir de là, le GIA n'en voulait plus. La guerre est déclarée, et beaucoup de membres du Gicl sont assassinés par les hommes de Zouabri. Certains n'ont eu la vie sauve qu'en se réfugiant chez les groupes affiliés à l'Armée islamique du salut (AIS) de Madani Mezrag. En septembre 1996 et septembre 1997, le GIA commet des exactions sur les membres du Gicl. La revue Al-Ansar, qui paraît à Londres, tente une médiation, puis se démarque elle aussi, du GIA, après les dérives criminelles de Antar Zouabri. Les trois référents doctrinaux du GIA à Londres, «Abou Mossaâb Es-Souri», «Abou Hafs Al-Misri» et «Abou Qatada al-Filistini», se démarquent aussi du GIA, bien que le dernier nommé tentera jusqu'au bout de couvrir les dérives djihadistes de Zouabri. Le 1er octobre 1997, Le Gicl diffuse un communiqué contre le GIA, dans lequel il met en garde contre les dérives djihadistes, les exactions, les crimes et les génocides perpétrés par Antar Zouabri. Le communiqué est signé de la main de Abou Abdellah Es-Sdaki. Pour les profanes en la matière, il s'agit de Abdelhakim Belhaj, l'actuel gouverneur militaire de Tripoli et véritable gourou du CNT et de Mustafa Abdeljalil. Après la création du Groupe (algérien) salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), des membres du Gicl sont revenus en Algérie combattre dans les rangs du groupe salafiste, et les maquis de Tizi Ouzou ont vécu les visites de ces hommes du Gicl, incapables de pointer du nez en Libye, tomber les uns après les autres. Trois d'entre eux ont été interceptés et capturés à Meftah, sur les contrebas des monts de Larbâa. Les capitales européennes méconnaissent les membres du Gicl, mais cet homme, Abdelhakim Belhaj, n'est pas un nouveau-venu : plus connu sous le nom d'Abou Abdallah Es-Sdaki, il s'agit d'une des principales figures du djihadisme libyen. En réalité, Belhaj incarne toutes les incertitudes autour de la Libye post-Kadhafi. Né le 1er mai 1966 en Libye, Abdelhakim Belhaj a fait ses armes en Afghanistan contre l'URSS, avant de fonder le Groupe islamique combattant libyen (Gicl). Avec l'accord des talibans, cet organisme ouvre plusieurs camps d'entraînement dans ce pays, dont certains formeront des volontaires liés à Al Qaïda. Affilié en 2007 à l'organisation de Ben Laden, le Gicl devient une priorité pour la CIA. Belhaj est suivi de près par la CIA, depuis 2002, et c'est elle qui l'arrête en 2003 en Malaisie. Remis aux services secrets libyens en 2004, il est libéré cinq ans plus tard, en janvier 2011, Seif Al Islam Kadhafi ayant décidé d'opérer une réconciliation du régime avec les islamistes. Mais Abdelhakim Belhaj se retourne contre son libérateur en février 2011, en rejoignant avec ses hommes la rébellion, dans un premier temps, puis, en menant lui-même, au profit du Gicl, la guerre contre le clan Kadhafi. Les services de renseignement américains suivent donc avec la plus grande attention l'évolution du Gicl. «Les services secrets américains, européens et arabes reconnaissent que l'influence d'anciens membres de ce groupe les inquiète», confiait, mi-juillet, un cadre des renseignements au quotidien New York Times. «Il est facile de changer de nom et de dire ‘Nous n'appartenons pas à Al Qaïda', mais la vraie question est de savoir s'ils ont changé d'idéologie… et j'en doute», avait-il ajouté. Abdelhakim Belhaj affirme, d'ailleurs, depuis la prise de Tripoli que «mes troupes ne respecteraient que ce qui est en accord avec la Charia». Ginette Hess Skandrani in