Dahmane s'est mis à rire à gorge déployée. Il rigolait sérieusement, méthodiquement, sincèrement. Dahmane se tient maintenant les hanches de douleur, mais il repartait de plus belle. Son rire n'est pas feint, ça se voyait bien sur la rougeur de son visage et les larmes que ses mains parties au secours des yeux parvenaient difficilement à contenir. C'est le genre de chose qui ne s'invente pas et Dahmane n'a pas la réputation d'être un comédien de première. En la matière, le bonhomme est pourtant exigeant, il ne rit pas pour n'importe quoi et il le dit souvent, dans une formule que tous ses proches connaissent : «Depuis le départ de l'Inspecteur au paradis et de Fellag en exil, aucun Algérien ne me fait plus rire». Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé. Quelques amis bien intentionnés ont bien tenté de lui faire aimer la «nouvelle génération» d'humoristes, mais il a à chaque fois manqué d'en pleurer. Dahmane a une idée arrêtée sur le rire. L'humour est observateur, critique ou provocateur, il n'en connaît pas d'autres. La cocasserie ne le fait pas rire, la bêtise non plus, il en sourit seulement. De rage et de désespoir. Il reste à Dahmane quelques refuges de rire protecteurs. De vieilles histoires jamais usées et quelques amis jamais en panne de finesses. Il y va parfois de bon cœur, mais il ne s'y laisse pas enfermer. Dahmane voudrait bien rire avec un nouveau regard sur son quotidien et de nouvelles fenêtres sur le monde. Il n'y a pas grand monde pour les ouvrir et ça ne le fait pas rire. Il arrive à Dahmane de rire des pitres, jamais de leurs pitreries. Il ne s'intéresse pas à celui qui fait l'intéressant et ne trouve pas drôles les petits gags de mauvais goût. On le trouve un peu trop rigide quand rien ne lui fait abandonner son masque fermé et un peu trop décontracté quand il en sort. Dahmane est entier dans ses états d'âme. Samedi passé, un vieil ami avec qui il a fait les quatre cents coups l'a appelé au téléphone pour lui proposer d'aller à un spectacle. Aux dires de Mustapha, son complice de toujours, ça valait le déplacement : un jeune comédien qui fait du «one man show» et qui serait différent des autres. Un spectacle ? Dahmane lâche son appareil sur le tapis du salon, se lève et commence à rire comme un dingue. Sa femme pensait qu'il venait d' «envoyer ses papiers». Elle pensait en avoir eu la confirmation quand, apaisé enfin, il lui révèle ce qui le faisait marrer : «Un spectacle, tu te rends compte ? Il me propose d'aller voir un spectacle !» Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir