Le magnat américain Rupert Murdoch a débarqué vendredi à Londres pour une réunion de crise au Sun, rattrapé par les scandales qui secouent les médias britanniques et l'ont déjà conduit à sacrifier le News of the World, son autre fleuron tabloïde, dans l'espoir d'épargner son empire. Arrivé la veille au soir par avion privé des Etats-Unis, le patron de presse de 83 ans a gagné en fin de matinée les locaux de New International, la division britannique de son groupe News Corp, en évitant les nombreux reporters massés aux grilles de sa forteresse. Le Sun a dénoncé dans un éditorial "la chasse aux sorcières" dont il s'estime la cible. Et la rédaction espère des garanties sur la protection des journalistes et sur le sort du quotidien le plus lu du pays, avec 2,5 millions d'exemplaires. Dix de ses fins limiers ont été arrêtés depuis novembre au titre de la législation anticorruption, pour versement de pots-de-vin à des policiers et fonctionnaires. Aucun n'a été inculpé à ce jour, mais les cinq dernières arrestations ont marqué les esprits, samedi. Les policiers ont éventré des parquets, fouillé des effets personnels au domicile des suspects. Comme s'ils avaient affaire à "un gang de malfrats", s'est indigné le rédacteur en chef adjoint du journal, Trevor Kavanagh. Pire encore aux yeux de la rédaction, les enquêteurs ont agi sur la foi de renseignements fournis par le Management and Standard Committee (MSC). Cet organisme indépendant a été créé par News International pour contribuer à faire la lumière sur les accusations de dérives éditoriales. Il est composé de dizaines d'avocats, d'informaticiens, et de policiers chargés d'éplucher des centaines de millions de mails et d'innombrables enregistrements téléphoniques. Ses bureaux ont été "décontaminés" pour s'assurer de l'absence de micros, selon la BBC. Mais pour le principal syndicat de la presse écrite NUJ, il ne saurait être question que les journalistes soient des boucs émissaires. L'affaire intervient sur fond de grand déballage sur les pratiques de certains médias: écoutes téléphoniques (le NotW est accusé d'avoir espionné 800 personnes), recours à des détectives privés, usurpation d'identité, pots-de-vin.... La liste des méfaits est exposée depuis des mois par un défilé de "victimes" --acteurs, sportifs, "celebs" ou simples citoyens-- devant la commission Leveson chargée d'enquêter sur la déontologie des médias, et de proposer des garde-fous. Sans attendre, News International a versé plusieurs millions d'euros d'indemnités à plus de 50 victimes, afin d'éviter des procès plus coûteux encore. Les patrons de presse ont pour leur part mis en garde contre tout amalgame, afin d'éviter de nuire au journalisme d'investigation ou d'adopter des mesures liberticides. "Ce qu'il faut impérativement éviter, c'est de mettre en danger le journalisme parce qu'il opère dans l'intérêt du public", a répété vendredi le responsable du syndicat des patrons de presse, Bob Satchwell. Rupert Murdoch a confié à son entourage le soin de rappeler son attachement au Sun, face aux rumeurs de fermeture ou de vente. Le journal qu'il a acquis en 1969 représente la première pierre britannique du groupe transnational qu'il a bâti. Cependant, plusieurs grands actionnaires de News Corp. ont indiqué qu'ils ne permettraient pas que le scandale mette en danger le groupe qui pèse 44 milliards de dollars. Il a déjà obligé Rupert Murdoch et son fils James à se justifier devant les députés britanniques, à fermer le NotW vieux de 168 ans et à renoncer au contrôle intégral du bouquet satellitaire BSkyB. "Ce qui se passe en Grande-Bretagne est en train de pourrir News Corp", sans préjuger des procès à venir, prédit Michael Wolff, le biographe le plus critique de Rupert Murdoch.