Louisa Dris Aït Hamadouche, maître de conférences à la faculté de sciences politiques à l'université d'Alger, s'exprime dans cet entretien sur l'agrément des nouveaux partis politiques algériens, estimant que le nombre importe peu. Elle donne son avis sur le risque d'abstention lors des prochaines législatives prévues le 10 mai. Le Temps d'Algérie : L'Algérie compte désormais 33 partis politiques dont la plupart sont intéressés par les prochaines élections législatives, sans compter les candidatures des personnes indépendantes. Y a-t-il risque d'émiettement des voix des électeurs algériens ? Pensez-vous que de nombreux partis vont disparaître de la scène médiatique et politique après les législatives ? Quel sera également le poids des nouveaux partis face aux anciens, appelés par certains spécialistes «les poids lourds» ? Louisa Dris Aït Hamadouche : Vous dites 30, mais d'ici quelques jours il y en aura peut-être davantage ! Il est ironique et désolant à la fois de constater une sorte de retour en arrière. Au début des années 1990, on affirmait que le jeu des élections allait naturellement faire la sélection entre les partis viables et ceux qui ne l'étaient pas. Vingt ans après, trois élections législatives et quatre élections présidentielles plus tard, nous en sommes au même point. S'agissant de l'émiettement de l'électorat, oui ce sera certainement le cas. Mais n'est-ce pas l'objectif non déclaré des agréments distribués tous azimuts ? Concernant la disparition de certains partis après les élections, je dirai que la pérennité d'un parti ne doit rien au mystère : soit un parti a une base sociale, un discours cohérent, crédible et audible, une stratégie pro-active et réactive, un noyau de militants mobilisés à plein temps et, dans ce cas, il survit à une élection et améliore son score au fur et à mesure des batailles, soit il sert de tremplin à un groupuscule facile à coopter. Dans ce cas, son espérance de vie ne dépasse pas le temps des fonctions qu'on lui aura attribuées à un moment donné de l'histoire. Mais pour être tout à fait objective, force est de reconnaître qu'avec la meilleure volonté du monde et les personnes les plus motivées qui soient, un parti aura du mal à exister si les tribunes d'expression, à savoir les médias, la rue, sont verrouillées ou ouvertes de façon sélective à ceux que vous appelez les «poids lourds» justement. Que pensez-vous justement de cette profusion de partis en Algérie ? La profusion de partis politiques dans un pays peut signifier la diversification des courants politiques et idéologiques, la montée en puissance du militantisme, l'enthousiasme né d'une ouverture politique intervenue après une longue période de fermeture (comme c'est le cas en Tunisie). Je ne vois rien de tout cela dans la duplication des partis en Algérie depuis deux mois à peine. Ce phénomène laisse perplexe quel que soit l'angle d'analyse : pourquoi avoir bloqué l'agrément des partis pendant 10 ans pour faire marcher «la planche à partis» aujourd'hui ? Qui peut prétendre savoir quoi que ce soit de ces nouveaux partis, exception faite des figures qui sont connues pour être les transfuges des partis existant depuis le début du multipartisme ? Sur le plan idéologique, ces nouveaux partis tendent à conforter les courants existants et déjà représentés, à savoir le courant dit nationaliste et les islamistes. La scène politique algérienne avait-elle réellement besoin de nouveaux partis pour alimenter ces courants ? Je ne le crois pas. Le militantisme de base ainsi que le débat politique connaissent-ils un renouveau particulièrement actif ces derniers temps ? Pas du tout. L'Algérie est au contraire particulièrement calme, comparativement à ce qui se passe chez nos voisins. Est-ce qu'on est dans une phase d'enthousiasme né de la nouveauté ? Encore moins ! La transition démocratique en Algérie a commencé en 1989, s'est arrêtée en 1992 et attend toujours un nouveau départ. Conclusion : il faut chercher les raisons de cette prolifération dans les avantages symboliques et matériels que ces partis espèrent tirer de leur participation aux législatives. Le risque de l'abstention est évoqué par de nombreux hommes politiques algériens qui estiment que les législatives ne mobilisent pas les électeurs algériens. Qu'en pensez-vous et comment doit-on faire pour mobiliser les électeurs ? Il est difficile de ne pas adhérer à cette lecture, tant les raisons de l'abstention sont nombreuses. En fait, nous pourrions, en gros, diviser l'opinion publique en deux groupes : ceux qui veulent maintenir le statu quo, car pour eux changement signifie déstabilisation, retour aux années 1990, peur du lendemain, etc. et ceux qui ambitionnent une véritable libéralisation politique et le parachèvement de la transition inachevée. Or, les premiers risquent de ne pas ressentir le besoin de voter car, de toute façon, la tendance est au statu quo et les élections se suivent et se ressemblent. Pas de suspense, pas de surprises. Quant aux seconds, ils ne trouveront dans l'offre politique actuelle aucune motivation pour aller voter, aucun parti n'ayant voulu, ou pu, proposer un discours suffisamment crédible pour mobiliser l'électorat. En troisième lieu, la campagne de communication visant à encourager les électeurs risque de ne pas atteindre ses objectifs. Je citerai comme exemple le fait de comparer l'élection législative au premier novembre 1954. Je crois que, pour la génération qui a connu la guerre de libération, cette comparaison peut légitimement être mal perçue. Peut-on leur en vouloir de penser que l'élection de 462 députés payés 20 fois le SNMG en pleine crise économique ne peut en aucun cas valoir le sacrifice de ceux qui ont donné ou risqué leur vie pour l'indépendance, sans jamais rien demander en retour ? Ce type de parallèles relaie de très mauvais messages, notamment à l'égard des jeunes Algériens. Car, en définitive, après avoir été nourris de la légitimité révolutionnaire, synonyme d'un système autoritaire, ils sont désormais alimentés par des comparaisons populistes qui banalisent les valeurs de la République. La situation sécuritaire peut-elle peser sur la participation aux prochaines législatives ? Il est vrai que le sentiment d'insécurité qui survient à l'issue d'un attentat terroriste peut créer un réflexe au sein de la population cherchant protection et refuge auprès des pouvoirs publics. L'élection présidentielle de 1995 a obéi à ce schéma. Il est tout aussi vrai que l'apparition d'un nouveau groupe terroriste, le Mouvement unicité et jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), peut raviver les craintes ainsi que le besoin de sécurité. D'un autre côté, nous sommes loin de la terreur des années 1990 et les Algériens ont, malheureusement, appris à vivre avec le «terrorisme résiduel». D'autre part, les autorités publiques tendent à limiter la portée de cet attentat en le liant au contexte régional à propos duquel l'Algérie a eu des positions claires. Je crois donc que cet attentat n'aura pas d'impact décisif sur la participation. Entretien réalisé par