Les Frères musulmans ont affirmé vendredi que leur candidat, Mohamed Morsi, arrivait en tête du premier tour de l'élection présidentielle en Egypte et serait opposé au second tour à Ahmed Chafik, favori de l'armée et de la minorité copte. "C'est sûr que l'on aura au second tour Mohamed Morsi et Ahmed Chafik", a dit un responsable de la confrérie à Reuters sous le sceau de l'anonymat, ajoutant que les responsables des Frères musulmans se réunissaient pour définir la stratégie du second tour, prévu les 16 et 17 juin. La commission électorale ne devrait pas annoncer les résultats officiels avant mardi. Les résultats provisoires que les Frères musulmans avaient communiqués pendant les législatives de l'hiver dernier se sont avérés fiables (les représentants des candidats sont autorisés à assister aux dépouillements). Si un tel scénario se confirme, les Egyptiens n'auront le choix au deuxième tour qu'entre un homme de l'ancien régime et un représentant d'une confrérie qui n'avait participé que du bout des lèvres au soulèvement contre Hosni Moubarak. Les jeunes révolutionnaires de janvier-février 2011 soutenaient de leur côté les candidats indépendants Abdel Moneim Aboul Fotouh, dissident de la confrérie, et Hamdine Sabahi (gauche nassérienne), qui se classeraient troisième et quatrième du scrutin, devant l'ancien secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, qui faisait pourtant figure de favori. "Les Egyptiens ont maintenant le choix entre la révolution et la contre-révolution. Le vote sera un référendum sur la révolution", n'en a pas moins estimé Mohamed el Beltagui, un des responsables du parti Liberté et Justice (PLJ) des Frères musulmans. S'il met bien aux prises Mohamed Morsi et l'ancien général Ahmed Chafik, le deuxième tour promet d'être polarisé entre les islamistes, déjà majoritaires au Parlement, et les militaires et partisans de l'ancien régime, qui promettent un retour à la stabilité et à la sécurité. A mesure que leur parvenaient les résultats du dépouillement, toutes les équipes de campagne ont reconnu la victoire de Mohamed Morsi. Le nom de son dauphin a en revanche varié, la percée surprise d'Hamdine Sabahi ayant brouillé les cartes. Selon le responsable des Frères musulmans s'exprimant sous le sceau de l'anonymat, Morsi aurait obtenu 25% et Chafik 23%. Abdel Moneim Aboul Fotouh obtiendrait 20% et Hamdine Sabahi aurait récolté 19%. Ces résultats provisoires sont issus des décomptes réalisés dans 12.800 des 13.100 bureaux de vote du pays, a-t-il précisé. Selon les autorités électorales, le taux de participation au premier tour avoisinait les 50%. "Nous sommes confiants sur le fait que le prochain président égyptien sera Mohamed Morsi", a déclaré Essam el Erian, un haut responsable du PLJ. Le vote s'est globalement déroulé dans le calme et les observateurs indépendants n'ont recensé que des infractions mineures se limitant à des actes de campagne électorale à proximité de certains bureaux de vote. Les Egyptiens semblent partagés entre leur refus de voir les partisans de l'ancien régime revenir au pouvoir et leur inquiétude face à un potentiel monopole des islamistes. "La révolution nous a été volée par les caciques de l'ancien régime, les Frères musulmans et l'armée. Si Ahmed Chafik ou Amr Moussa gagne, le peuple fera une nouvelle révolution", prévient Mohamed Kamal, un décorateur de 32 ans, qui a voté tard jeudi pour Hamdine Sabahi. Certains redoutent de nouveaux affrontements dans les rues en cas de victoire de Chafik. Une page Facebook a été créée jeudi sous le titre "Je suis le premier martyr de la révolution si Moussa ou Chafik l'emporte". "Choisir entre Chafik et Morsi, c'est un peu comme se demander si on veut se suicider en se jetant dans un feu ou dans la gueule d'un requin", a commenté avec amertume Adel Abdel Ghafar sur Twitter. Sur le réseau social, qui avait été un moteur du soulèvement contre Hosni Moubarak, nombre d'utilisateurs promettent de retourner sur l'emblématique place Tahrir, au Caire, en cas de victoire de Chafik. Ils sont tout aussi nombreux à prédire un succès écrasant de Morsi, mais en l'absence d'élément de comparaison, il est difficile de dire lequel des deux candidats pourrait bénéficier le plus les reports de voix, nombre d'Egyptiens risquant d'être tentés par l'abstention. L'enjeu est pourtant de taille. A peine élu, le prochain chef de l'Etat devra trancher sur la rédaction de la Constitution, qui fait l'objet de vifs débats entre les islamistes et les laïcs, et pourrait également voir sa marge de manœuvre limitée par le Conseil suprême des forces armées (CSFA), soupçonné de vouloir conserver une grande partie de ses prérogatives. Les généraux se sont toutefois engagés à remettre le pouvoir au nouveau président élu le 1er juillet, ce qu'ils feront d'autant plus volontiers si l'un des leurs, Ahmed Chafik, venait à être élu. Les Etats-Unis, par la voix de la secrétaire d'Etat Hillary Clinton, se sont engagés à "se tenir aux côtés du peuple égyptien". "Nous sommes impatients de travailler avec le gouvernement égyptien élu démocratiquement", écrit-elle dans un communiqué. "Nous allons continuer à nous tenir aux côtés du peuple égyptien alors qu'il travaille à respecter la promesse du soulèvement populaire de l'année dernière et à construire une démocratie qui reflète leurs valeurs et leurs traditions, qui respecte les droits de l'homme universels et rencontre leurs aspirations à la dignité et à une vie meilleure."