Alors que la population algérienne était de près de 10 millions d'habitants en 1957, l'armée coloniale française avait, la même année, implanté 11 millions de mines antipersonnel le long des frontières algériennes avec la Tunisie et le Maroc. Plus d'une mine par habitant. Une preuve que le colonialisme ne s'opposait nullement à l'époque à l'extermination de tout le peuple algérien. Les 11 millions de mines constituaient ce qu'on appelle la ligne Challe et Morice. Il y avait d'abord la ligne Morice construite à partir de juillet 1957, consistant à miner les frontières algéro-tunisiennes. Suivit la ligne Challe réalisée le long des frontières algéro-marocaines, venant doubler en 1959 la ligne Morice. La ligne minée a été baptisée du nom de deux responsables militaires français. Il s'agit de Maurice Challe, commandant en chef en Algérie entre décembre 1958 et mars 1960 et André Morice, ministre français de la Défense de l'époque. En plus d'être fortement minées, les lignes Challe et Morice étaient barbelées, électrifiées et surveillées en permanence par l'armée française entre l'Algérie et la Tunisie (sur 460 kilomètres), d'une part, et le long de la frontière entre l'Algérie et le Maroc (sur 700 kilomètres) d'autre part. La France a attendu 45 ans pour remettre à l'Algérie les cartes localisant les mines. Ce sont 2,5 millions de ces 11 millions de mines qui sont aujourd'hui toujours sous le sol, et parfois immergées quand il y a glissement de terrain ou érosion, continuant de tuer et de mutiler la population algérienne locale, en majorité des enfants ou des bergers. C'est seulement en octobre 2007 que le général Jean-Louis Georgelin, alors chef d'état-major des armées françaises, qui a officiellement remis à son homologue algérien, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, les plans concernant les mines que l'armée française avait placées le long des lignes Challe et Morice entre 1957 et 1959, rappelle-t-on. La France a donc attendu 45 ans pour remettre les plans localisant les mines implantées le long des lignes Challe et Morice. Des milliers d'Algériens sont décédés, entre-temps, des suites de l'explosion de nombre de ces engins. De nombreux autres ont été amputés de leurs bras ou jambes et devenus définitivement invalides. Pire : ces plans «n'ont pas permis d'identifier d'autres zones polluées du territoire algérien que celles découvertes auparavant» par l'armée algérienne, avait estimé le colonel Ahcène Guerabi, à la tête du comité interministériel sur le déminage, dans son rapport daté de février dernier. Ils sont, selon une source, 3500 victimes répertoriées à l'indépendance. Elles sont beaucoup plus nombreuses, estime Handicap international, qui a mis en place ces dernières années un programme de sensibilisation au risque des mines, en lien avec les associations de victimes et le comité interministériel chargé de la mise en œuvre de la convention d'Ottawa, est-il noté. Une véritable pépinière pour le terrorisme Malgré toutes ces difficultés, et dès l'indépendance, l'armée algérienne s'attelle au chantier de déminage. Huit millions de mines sont supprimées jusqu'en 1988. Le groupe islamique armé (GIA) et le groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, devenu AQMI) qui en est issu se sont, à leur tour, mis à semer des bombes artisanales. L'Armée nationale populaire (ANP) se trouvait sur plusieurs fronts : déminage de la ligne Challe et Morice qui continue à faire des victimes et lutte anti-terroriste. L'opération de déminage s'est poursuivie quand même et au prix de lourds sacrifices. Pour augmenter encore le nombre de victimes des lignes Challe et Morice, les terroristes du GSPC ont, des années durant, extrait des mines qui y étaient enfouies pour les utiliser dans la confection de bombes artisanales. Il est à noter que chaque mine contient entre 4 et 5 kilogrammes de TNT, matière explosive souvent utilisée par l'organisation terroriste. Le GSPC (devenu Al-Qaida au Maghreb islamique) exploitait le chômage et la malvie de jeunes qu'il payait pour chaque mine extraite. Ces derniers attendaient parfois les pluies provoquant un glissement de terrain ou l'érosion pour ramasser les mines immergées. Selon des chiffres en possession des forces de sécurité, plus de 5000 personnes ont été tuées dans des attentats à l'explosif perpétrés par les terroristes depuis le début des années 1990. L'ANP qui avait, depuis le début de l'opération de déminage jusqu'à l'année 1988, détruit 8 millions de mines a ratifié, quelques années après, la Convention d'Ottawa sur la destruction des mines antipersonnel. En 2004, il restait encore trois millions de mines sur le sol algérien. Depuis, 600 000 mines ont été neutralisées. L'Algérie a récemment demandé, dans le cadre de la Convention d'Ottawa, une prolongation jusqu'en 2017 pour achever le déminage. L'opération n'est pas du tout aisée, en particulier si des facteurs naturels compliquent les choses. C'est ainsi qu'au fil des décennies, les mines ont migré au gré du vent, des pluies, de l'érosion ou du fil de l'eau des rivières. Elles se retrouvent parfois dans des endroits tout à fait inattendus, faisant davantage de victimes parmi la population locale. Même la pêche à l'explosif… Les mines qui continuent à faire des victimes cinquante ans après l'indépendance du pays portent par ailleurs une atteinte grave à l'équilibre naturel du pays. C'est quand elles servent à la pêche à l'explosif. Le groupement de wilaya de Tlemcen de la Gendarmerie nationale a, à cet effet, démantelé de nombreux réseaux fournissant nombre de ces mines à des pêcheurs, note-t-on. Là aussi, les pêcheurs utilisant cette forme de pêche interdite achètent des mines provenant des lignes Challe et Morice auprès de jeunes au chômage qui risquent leur vie dans l'extraction de ces engins explosifs. C'est dire la catastrophe sur l'être humain et l'équilibre naturel de l'implantation des lignes Challe et Morice qui cause des ravages cinquante ans après l'indépendance.