Pour que les Algériens ordinaires, qui ne sont ni spécialistes des questions économiques et financières ni responsables à un haut niveau de l'Etat «arrêtent de s'inquiéter» sur la baisse du prix du pétrole, il faudra bien qu'on nous explique certaines choses. Et de préférence avec un maximum de clarté, pour qu'on puisse comprendre. A commencer par la plus difficile, parce qu'elle est d'un telle évidence et d'une telle simplicité que ça va être un exercice impossible que de tenter de la noyer dans un discours savant ou des chiffres insaisissables : comment peut-on rassurer un citoyen qui «sait» depuis longtemps que les seuls revenus de son pays qui lui permettent de manger proviennent de la vente du pétrole, quand les prix de ce même produit sont en chute sur les marchés mondiaux ? C'est d'autant plus difficile de leur expliquer que la situation n'est pas si catastrophique que leur vie n'est déjà pas si brillante quand le pétrole bat tous les records en matière de prix ! La deuxième question à laquelle on devrait répondre si on veut vraiment nous «désangoisser» est de savoir comment les autorités ministérielles ont pu faire pour «tirer la sonnette d'alarme» sur les dangers qui pèsent sur les équilibres budgétaires à la faveur de la chute du prix du pétrole, avant de dépêcher apparemment en catastrophe le ministre des Finances, Karim Djoudi, pour nous rassurer : ce ne serait finalement qu'une fausse alerte puisque pour reprendre ses propres termes, «la baisse du prix du pétrole observée ces derniers mois inquiète l'Algérie mais ne menace pas les équilibres budgétaires actuellement, les dépenses effectives de l'Etat étant fondées sur un baril à soixante-quinze dollars seulement». Bien. On pourrait continuer les questions mais on se rappelle qu'on nous avait déjà dit ça quand on élaborait la loi de finances sur la base d'un baril à trente-six dollars alors qu'il n'était pas loin de cent ! S'il s'agissait de sauver le minimum vital, peut-être qu'on n'aurait pas eu besoin du tout qu'on pense notre «développement» puisque tout le monde sait vendre ce qu'il a pour acheter ce dont il a besoin, quand ce dont il a besoin n'est pas destiné à produire autre chose que ce qu'on a l'habitude d'emmener au marché sans avoir le moindre mérite de le posséder ! Elle est ainsi notre économie, sans imagination, sans audace, sans… risque ! En temps de prospérité… pétrolière, on thésaurise au lieu d'investir, et en temps d'inquiétude, on rassure : notre économie est trop inerte pour subir les contrecoups des perturbations mondiales. Ni la crise des subprimes ni la perte du triple AAA par les Etats-Unis puis par la France, ni la banqueroute grecque ne peuvent nous toucher, puisque nous sommes «en dehors de la zone de couverture» économique. Il n'y avait finalement que la baisse des prix du pétrole qui pouvait nous ébranler, et voilà qu'on nous apprend qu'elle ne nous empêche pas tant que ça de dormir ! Il reste tout de même une question importante à laquelle M. Djoudi – ou quelqu'un d'autre – devrait répondre : jusqu'à quand les Algériens devraient, pour se «rassurer», se contenter de savoir que les dépenses, auxquelles M. Djoudi a même cru devoir coller le qualificatif «effectives» sont à l'abri… grâce à un «faux prix» du pétrole et de manière encore plus rassurante par les réserves de change ? Et puisqu'on devrait s'estimer heureux que les «dépenses effectives» de l'Etat ne sont pas menacées pour les raisons que l'on sait, le ministre des finances a cru également faire le bonheur des Algériens en leur disant que «la gestion prudentielle prônée exclut toute réduction de salaires, de transferts sociaux et de soutien des prix» ! Il savait décidément que nous avions le bonheur facile ! Par Slimane Laouari