Le sort du Parlement égyptien était dans le flou juridique mercredi, l'épreuve de force opposant le président islamiste, les militaires et la justice entraînant une crise institutionnelle dix jours après l'investiture du premier chef d'Etat depuis la chute de Moubarak. "La bataille pour le pouvoir se joue autour de l'appareil judiciaire", écrit mercredi le quotidien indépendant al-Watan, tandis que le journal Al-Shorouk, indépendant également, titre en Une "la lutte pour le pouvoir se joue dans les tribunaux". La Haute cour constitutionnelle (HCC) a contre-attaqué mardi en suspendant un décret du président égyptien, l'islamiste Mohamed Morsi, qui avait ordonné le rétablissement du Parlement invalidé mi-juin par cette même cour. "La cour a ordonné la suspension du décret présidentiel" a indiqué une source judiciaire, ajoutant que celle-ci a aussi "ordonné que sa précédente décision (déclarant le Parlement illégal, NDLR) soit appliquée". Dimanche, huit jours après sa prise de fonction, M. Morsi, issu des Frères musulmans, a annulé par décret la décision de la HCC qui avait invalidé le 14 juin le Parlement, dominé par les islamistes, en raison d'un vice dans la loi électorale. Et dans un geste de défi, l'Assemblée du peuple dissoute s'était réunie mardi matin en présence de députés des Frères musulmans et des fondamentalistes salafistes. Des élus d'autres partis notamment libéraux ont boycotté la session, certains qualifiant le décret de M. Morsi de "coup d'Etat constitutionnel". A l'ouverture de cette session mardi, le président de la chambre basse, le Frère musulman Saad al-Katatni, avait assuré que le Parlement ne contrevenait pas à la loi en siégeant malgré tout. Il a indiqué que le Parlement avait renvoyé l'affaire de l'invalidation de la chambre basse devant la Cour de Cassation. Des milliers de personnes ont convergé mardi soir vers l'emblématique place Tahrir, au Caire, pour manifester leur soutien à M. Morsi et scander des slogans hostiles à l'armée, à qui Hosni Moubarak, chassé par la rue en février 2011, avait remis les rênes du pays, et jugée de mèche avec la HCC. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui s'est attribué le pouvoir législatif après la dissolution de l'Assemblée mi-juin, provoquant la colère de ceux qui veulent voir les militaires quitter la politique, a appelé lundi au respect de "la loi et de la Constitution". Pour l'écrivain Alaa al-Aswany, le "message est clair: le président élu ne peut exercer le pouvoir sans les militaires". "La Cour constitutionnelle, dont les juges ont été désignés par Moubarak, ont suspendu le décret présidentiel et rétabli le décret du maréchal", Hussein Tantaoui, chef du CSFA, commente-il. Il faisait allusion à une "Déclaration constitutionnelle complémentaire" adoptée par les militaires le 17 juin, qui a considérablement affaibli la fonction présidentielle. Pour d'autres commentateurs, le rétablissement du Parlement par le nouveau président illustre le peu de respect que ce dernier voue à la justice. "La Cour constitutionnelle gifle à son tour le président", écrit le quotidien libéral al Wafd. Les Frères musulmans, dont est issu M. Morsi, avaient accusé les militaires d'avoir orchestré la dissolution du Parlement pour s'adjuger le pouvoir législatif, dénonçant un véritable "coup d'Etat". Mais la HCC a assuré qu'elle "n'était partie prenante dans aucune lutte politique" et que sa mission était de "protéger" la Constitution. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, qui doit rencontrer M. Morsi ce week-end, a réclamé un "dialogue intensif entre tous les protagonistes" en Egypte, tandis que le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, s'est dit confiant que l'Egypte surmonterait la crise.