La rumeur, cette enfant illégitime du journalisme, a encore frappé. Insidieuse et par définition invérifiable, son effet est redoutable. Son principe est d'être absoute des vérifications d'usage et de ne pas se plier à la réflexion et au doute méthodique. En clair, la rumeur est une arme de subversion. Cela s'est une nouvelle fois vérifié à travers «l'information» commise par un obscur et inclassable blogueur, qui excipe de la qualité de chercheur en histoire médiévale (sic) et revendique haut celle de journaliste. Ses compétences en matière d'histoire sont peut-être avérées, mais en journalisme, il flirte aussi, sans jeu de mots, avec des pratiques moyen-âgeuses. L'auteur de la rumeur sur la mort du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, diffusée vendredi soir sur la toile, un certain Allain Jules a fait preuve, professionnellement parlant, d'une légèreté qui l'exclut de se revendiquer d'une profession qui a ses lettres de noblesse et ses règles. Ce qui est valable en matière de travaux historiques l'est également en journalisme. Toute information, tout fait, doit être vérifié, recoupé. C'est cette règle élémentaire qui fait frontière entre journaliste et colporteur, comme elle fait la différence entre le scientifique et l'alchimiste. M. Allain rapporte les circonstances de son «scoop», et cela est révélateur de son inconsistance. Attablé oisivement dans un café parisien, il reçoit un message dont il n'identifie pas la source, et après avoir ratiociné sur ces tentatives, sans autre précision, pour confirmer ou infirmer son «info», il décide, malgré l'importance et la gravité du sujet, de la publier sur son blog, entraînant, au regard de la qualité du concerné, un buzz monumental. Allain Jules en tire d'ailleurs gloriole, avouant non sans une pointe d'orgueil avoir battu des records d'audience, invitant même les lecteurs de son blog à vérifier son audimat sur un compteur externe. Voilà comment un obscur blogueur justifie son hold-up, en poussant son audace jusqu'à professer l'estime qu'il porte au président Bouteflika et à l'Algérie. Et comme s'il voulait faire croire qu'il agit en ami, il explique confusément qu'il est souverainiste et qu'il est opposé à ceux qui œuvrent pour la destruction du monde arabe. Voilà comment un obscur blogueur, qui revendique l'info au karcher tout en citant la pasionaria, foule aux pieds les règles de l'éthique, de la déontologie et de la morale, mais pas seulement puisque son intox est assimilable à une attaque malveillante contre l'Algérie et contre la première de ses institutions. Ce procédé indigne surfe, il faut le dire, sur les graves lacunes de la communication institutionnelle dans notre pays. Alors que la rumeur embrasait les esprits, la première réaction officielle a tardé. Elle est finalement venue de ce brave porte-parole du ministère des Affaires étrangères, qui l'a prise de haut et l'a traitée comme on traite une rumeur, c'est-à- dire avec dédain. «Il s'agit de rumeurs malveillantes qui n'honorent pas leurs auteurs et qui ne méritent pas que l'on s'y attarde tant elles sont indignes et méprisables», a tenu à souligner hier Amar Belani. La réaction du MAE est bien pesée, mais malheureusement disproportionnée par rapport aux dégâts causés par la rumeur qui a occupé tous les espaces sur le net. Allain Jules a cependant eu les faveurs d'un communiqué officiel apparemment authentique qui dément ses informations et détaille ensuite le calendrier des activités du président Bouteflika à partir de mardi. Il faut dire que ce n'est pas la première fois que de telles rumeurs sur la santé du chef de l'Etat ont été distillées à travers les sites internet et les réseaux sociaux, laissant beaucoup d'observateurs et d'Algériens s'interroger sur les réelles motivations de leurs auteurs. Rien n'aura été épargné au président Bouteflika, attaqué d'une manière ignominieuse dans son intimité familiale – cette même rumeur inqualifiable avait circulé il y a quelques années sur son frère, donné pour mort alors qu'il luttait contre la maladie – et ceci sans égards pour les sentiments de sa famille, de ses enfants, et sans respect pour la plus élémentaire des morales.