Jusqu'alors sujet tabou, aujourd'hui, le harcèlement sexuel en milieu universitaire n'est un secret pour personne. Victimes et coupables l'évoquent sans retenue et l'interprètent à leur manière mais restent toutefois unanimes sur le fait que l'université est envahie, comme d'autres institutions ou administrations, par les fléaux sociaux, et que le harcèlement sexuel est devenu un phénomène sociétal en Algérie autour duquel gravitent tous les autres fléaux et par lequel se règlent les conflits d'intérêts. C'est donc le népotisme, le favoritisme, le chantage et la déliquescence qui minent les campus universitaires où le harcèlement sexuel est devenu une forme de corruption «intellectuelle» qui explique en partie la baisse de niveau des diplômés universitaires. A ce titre, l'étude, commandée par l'ancien ministre de l'Enseignement supérieur, Harraoubia, et réalisée par le Centre de recherches en déontologie sociale et culturelle (CRDSC) d'Oran, a prouvé l'étendue de ce phénomène avec des chiffres éloquents : 27% des étudiantes sont victimes de harcèlement sexuel sans pour autant omettre de mentionner les autres formes de harcèlement que subissent les enseignants et les enseignantes. Afin de percer les mystères de la face cachée de ces temples du savoir où se forme notre élite nationale, nous nous sommes rendus au pôle universitaire d'Imama à Tlemcen, à la rencontre d'étudiants, étudiantes et enseignants pour recueillir leurs témoignages sur la question. Même si les avis restent partagés sur la qualification de ce phénomène, cette virée nous a renseignés sur son étendue et sa complexité. Les langues se délient et le débat qui s'ensuit dévoile l'ampleur de cette amère réalité. Le charme : une arme de séduction pour certaines étudiantes Djawed, 22 ans, étudiant en droit, n'admet pas qu'on parle de harcèlement sexuel. Pour lui, «certaines étudiantes usent de leur charme pour séduire les enseignants dans le but de se voir attribuer de bonnes notes et réussir leur année» . Il affirme connaître «des étudiantes qui n'ont jamais assisté aux cours et TD et bouclent l'année avec des notes plus que confortables» (...) Certains enseignants séduisent aussi leurs étudiantes avec des bonnes notes». Cet avis est corroboré par Salima, 21 ans. Cette étudiante en droit finit par avouer «qu'elle avait rencontré des difficultés pour réussir sa deuxième année et ce n'est qu'après avoir dîné avec son professeur que son cursus s'est amélioré», sans omettre toutefois de souligner «que c'est elle qui avait provoqué ce rendez-vous». Vue sous cet angle, l'approche du problème est perçue comme consensuelle et préméditée. Une dégénérescence dans laquelle chacune des parties assouvit ses desseins. La bonne note : une arme redoutable utilisée par certains enseignants pour harceler les étudiantes Cette vision des choses n'éclipse en rien l'existence du harcèlement sexuel, comme l'atteste Farida, une étudiante en sciences économiques de 24 ans. «J'ai raté toute une année à cause de mon professeur qui me harcelait sans limite. Au début, il s'est montré gentil avec moi, il me convoquait dans son bureau et mes notes étaient excellentes. Il m'appelait chaque soir au téléphone et dès qu'il s'est rendu compte qu'il ne pouvait pas arriver à ses fins, il s'est retourné contre moi. J'ai vécu l'injustice et l'enfer au point d'avoir frôlé la dépression nerveuse car mes mauvaises notes ne reflétaient pas mon mérite», affirme-t-elle, tout en reconnaissant «que c'est le comportement négatif de certaines étudiantes qui a ouvert l'appétit à ces vautours». Apparemment méfiante et plus rusée, Majda, étudiante en 4e année de droit, raconte sa mésaventure avec son enseignant. «J'étais en 3e année et il me fallait deux points pour boucler l'année. Il m'a approché pour me proposer son aide à condition que j'assiste avec lui à une soirée à Oran. J'ai accepté tout en lui exprimant tout mon enthousiasme pour cette invitation. Il a fini par croire et a signé les PV d'admission devant moi avant de les remettre au doyen. Il faut reconnaître que je lui ai fait quelques petites concessions avant de l'envoyer balader». Même les enseignantes n'échappent pas à cette réalité et sont harcelées quotidiennement par leurs responsables Il ressort de ces témoignages que le harcèlement sexuel est entré dans les mœurs de la vie estudiantine et ce fléau a tendance à se banaliser et atteindre le corps des enseignantes, victimes elles aussi de ce chantage de la part de leurs responsables hiérarchiques, comme le dévoile Zahia, une enseignante : «Pour les avancements professionnels, les formations, stages et missions scientifiques à l'étranger, il faut passer à la trappe. Le refus est synonyme d'isolement, de marginalisation et de sanctions financières et administratives qui peuvent conduire dans certains cas à des fins de carrière». Elle s'insurge contre ces pratiques mesquines et indignes «connues de tout le monde et pour lesquelles nul n'ose les dénoncer». C'est l'omerta face à cette «culture» du harcèlement sexuel, et à ce jour, aucune victime n'a franchi le mur du silence et déposé plainte contre cet abus dont les répercussions sont plus que néfastes sur la qualité de l'enseignement et par conséquent sur le niveau des diplômés universitaires. «Ce n'est pas pour rien que l'université algérienne est reléguée au 1000e rang mondial», affirme un enseignant qui a voulu garder l'anonymat et qui a explicitement reconnu «que beaucoup d'enseignants utilisent cette pratique», les qualifiant de «pervers et sans scrupules», mais d'après lui, «les racines du mal sont situées ailleurs et le mal qui ronge l'université se nourrit de toute une série d'accumulations de problèmes interdépendants et liés à la gestion, au système actuel de l'enseignement, à la politisation de l'université et à la banalisation du diplôme». Les enseignants victimes aussi de harcèlement de la part de certains responsables Dans ce contexte, il dira «qu'on assiste actuellement à une course effrénée pour le diplôme sans tenir compte de la qualité de la formation. C'est pour cela que certaines étudiantes en particulier usent de tous les moyens pour arriver à leurs fins et les enseignants profitent de cette fièvre pour le titre pour joindre l'utile à l'agréable». Il fera remarquer aussi que «les enseignants sont exposés eux aussi à toutes les formes de pressions et de harcèlement moral». Sollicité pour nous donner plus de précisions à ce sujet, on apprend «que de nombreux enseignants subissent le diktat des gros pontes et se plient, la mort dans l'âme, à leurs injonctions pour favoriser leur progéniture». Il a révélé que «ce sont là des pratiques courantes et ces messieurs des sphères décisionnelles interviennent généralement auprès du doyen ou du recteur qui, à leur tour, instruisent l'enseignant à qui on ne laisse aucun choix». Cette réalité est légion au campus et n'échappe pas aux étudiants qui l'abordent sans aucun détour : «Nous avons parmi nous des fils et filles de procureurs, de juges, de commissaires, de militaires et de personnalités riches et influentes. Ce n'est pas tous, fort heureusement, mais certains d'entre eux ne sont admis en classe supérieure que grâce à l'intervention de leurs parents». Ce qui a fait dire à Asma, étudiante en lettres arabes : «J'ai un collègue qui n'assiste jamais aux cours mais en fin de compte il est à chaque fois admis avec mention». Le malaise est donc profond mais personne, à ce jour, n'a osé porter plainte contre ces agissements devant la justice, même pas celles qui ont été victimes de harcèlement sexuel. Les raisons de ce silence est expliqué par Lynda, étudiante en 4e année de sciences économiques : «Les victimes de ce harcèlement n'ont aucune preuve pour confronter les enseignants coupables qui prennent toutes les précautions pour effacer les traces de leurs actes. Généralement, ces enseignants fournissent les sujets d'examen à leur victime et la note sur la copie ne souffre d'aucune irrégularité. En cas de plainte, c'est la parole de l'enseignant contre celle de l'étudiante, sans oublier les représailles par la suite». De tous ces témoignages, celui de Djamila est édifiant. «Ma vie a basculé le jour où j'ai accepté d'accompagner mon enseignant à une soirée donnée à l'hôtel Les Zianides, à l'occasion de la clôture d'un colloque», affirme-t-elle avec regret et amertume avant de nous confier son secret qu'elle traîne depuis plus de quatre années. «Il a tout fait pour me séduire et je n'ai pu résister à la tentation. Il a abusé de moi et m'a jetée aux enfers ; je vis depuis cette erreur un traumatisme et je ne sais comment je vais affronter ma famille car je viens d'un milieu rural qui ne pardonne jamais la perte de ce qu'ils appellent «l'honneur de la famille», raconte-t-elle. Beaucoup d'étudiantes rencontrées dans le campus ont voulu témoigner de ce genre d'abus qui reste impuni mais elles étaient toutes unanimes pour affirmer que «la face cachée de l'université est épouvantable et même ignoble et malgré les nombreuses lettres anonymes adressées à la tutelle et au rectorat, aucune mesure n'a été prise à ce jour pour sanctionner les fauteurs ou à la limite mettre un terme à ce fléau qui a tendance à prendre des proportions plus qu'alarmantes». Et dire que le département des sciences sociales et humaines a organisé plusieurs conférences traitant du harcèlement sexuel en milieu scolaire, universitaire et professionnel.