Même les enseignantes passent à la trappe de la part de leurs responsables. Elles aussi n'échappent pas à ce chantage et aux harcèlements sexuels. Entre l'optimisme du ministre de l'Enseignement supérieur Rachid Harraoubia, et la réalité de l'Université algérienne, il y a tout un monde. Un monde où les universités gagnent des galons d'excellence alors que celles algériennes traînent aux dernières places. Une virée dans certaines facultés à Alger renseigne bien sur cette réalité amère, alors qu'il y a quelques années, la faculté de médecine d'Alger-Centre, celle du droit à Ben Aknoun étaient des références dans toute l'Afrique du Nord. Il y a à peine 20 ans, l'Université des sciences et de la technologie de Bab Ezzouar constituait un fleuron régional et un carrefour du savoir. Que dire alors de la fac centrale des années 60-70? D'où sont sorties des sommités scientifiques qui font aujourd'hui le bonheur des nations étrangères? On caracole aujourd'hui à la 500e place selon un classement établi par l'Academic Ranking of World Universities, dit classement Shanghai. Un rang dont le ministre Harraoubia semble tirer un grand honneur. Et il ne le cache pas! S'exprimant le 20 septembre dernier à partir de Constantine, M.Harraoubia a qualifié ce classement d'«encourageant». Quelle suffisance! C'est dire à l'évidence que la médiocratie et la dégradation du niveau n'épargnent rien sur leur passage dans le secteur de l'enseignement supérieur. Les témoignages sont légion et regrettables. Pourquoi en est-on arrivé là? Il n'y a que des réponses aussi négatives les unes que les autres. Les étudiants se plaignent de leurs enseignants, mais surtout de leurs responsables hiérarchiques. «Nous n'avons pas d'interlocuteurs. Ni nos enseignants, ni le chef de département encore moins le doyen ne nous reçoivent», a regretté Amel, une étudiante en fin de cycle à la faculté des sciences politiques de Ben Aknoun (Alger). Même le jour de l'affichage des résultats des examens, les enseignants ne se présentent pas. Ce sont les agents de sécurité et administratifs qui s'en occupent, apprend-t-on sur les lieux. Pour confirmer cette réalité, on s'est présenté à la salle des enseignants. Elle était totalement vide, pas même l'ombre d'un enseignant. Pourtant, il était à peine 11 heures du matin. Virée vers l'administration, c'est encore pareil. L'agent se trouvant sur place nous signifie que le responsable des études est sorti déjeuner, les autres responsables ne sont pas encore venus tandis que le doyen ne reçoit pas. Il est occupé, dit-il. «le doyen m'a dit que je ne reçois personne, dis à ceux qui demandent après moi que je suis en réunion de travail. Ma consigne, c'est dire qu'il est occupé», avoue-t-il. Et puis cela n'est pas propre à la faculté des sciences politiques de Ben Aknoun. Car la même situation règne à la faculté de droit se trouvant à quelques encablures. Là, les étudiants ne cherchent pas après leurs enseignants ou leurs responsables. Ils demandent plutôt leurs numéros de téléphone. C'est plus commode, paraît-il. «J'ai eu enfin le numéro de mon enseignant de TD. Je lui ai parlé de mon problème et il s'est montré compréhensif. Je pense qu'il m'ajoutera encore les quatre points qui me manquent pour passer l'année», confie toute heureuse Sara, étudiante en 2e année droit. «La culture» du harcèlement sexuel Elle finit par avouer que l'enseignant l'a également invitée pour un dîner. «Il m'a dit qu'il connaît un lieu sympa. C'est un restaurant marocain qui fait de la bonne cuisine», révèle Sara, tout en manifestant des interrogations sur une telle invitation. Plus rusée, Farida, une Algéroise en fin de cycle, renchérit: «Tu demandes d'abord à ton enseignant de t'offrir les points qui te manquent avant d'accepter son invitation. Et une fois tu as ce que tu veux, tu l'envoies balader et tu lui inventes une histoire. T'inquiète pas, ils sont des c...» lui conseille-t-elle, avant de lâcher: «Tous les enseignants sont des coureurs de jupons. Tu peux t'absenter durant toute l'année, mais si tu acceptes de sortir avec eux, il n'y a pas de souci pour les notes», assure-t-elle encore. La même étudiante raconte que l'année dernière, l'une de ses copines a été harcelée par son enseignant. Il lui faisait du chantage en ne lui attribuant que de mauvaises notes dans l'unique but de l'attirer dans le traquenard. Néanmoins, soutient-elle, sa copine avait su jouer avec son enseignant. «Elle lui a tendu un piège. Elle avait enregistré la communication puis elle l'avait poussé à lui faire une proposition indécente contre une note de 14 points. Et depuis, le tour est joué. C'était elle qui lui faisait le chantage en le menaçant par un dépôt de plainte. Elle a terminé son module avec un 15 de moyenne!», fait savoir Sara, sans gêne aucune. C'est une réalité qu'ignore le ministre du secteur. Même les enseignantes passent à la trappe de la part de leur responsables. Elles n'échappent pas elles aussi à ce chantage et au harcèlement sexuel. Un responsable au niveau de l'Ecole nationale supérieure des sciences politiques de Ben Aknoun défraie la chronique. Le DSK de Ben Aknoun Des enseignants sur le point de témoigner et même déposer plainte face aux agissements de ce responsable surnommé le DSK de Ben Aknoun qui est allé même jusqu'à constituer un harem. «On a demandé audience plusieurs fois à notre ministre pour lui exposer une série de problèmes qui nuisent gravement à notre institut. On n'a jamais eu de réponse, on attend toujours...» Outre ces pratiques, les enseignants sont également soumis aux pressions de certains individus bien introduits dans les sphères décisionnelles. De nombreux enseignants subissent, la mort dans l'âme, des pressions terribles et finissent par se plier, apprend-on auprès de certaines victimes. «Il y a deux jours, j'ai reçu un coup de téléphone de la part d'un colonel. Après une brève présentation, il m'apprend que j'enseigne à son fils qui a obtenu une note éliminatoire. Il me demande de gonfler sa note pour qu'il puisse assurer son passage en 4e année, avant de me dire je suis là et tu es des nôtres» révèle un jeune enseignant à la faculté de Bouzaréah. Cet enseignant de littérature anglaise ajoute que plusieurs de ses collègues subissent le chantage de certains procureurs, de commissaires et de militaires qui interviennent pour leurs proches. Cette réalité n'échappe pas aux étudiants qui de leur côté, assurent qu'ils ont vu leurs camarades de classes admis à des classes supérieures sans assister ni aux cours ni aux travaux dirigés durant toute l'année parce qu'ils sont la progéniture de tel officiel ou de l'autre. «Mon copain ne vient jamais en cours. Il lui arrive de se présenter avec sa Golfe dernier cri flambant neuf, rien que pour la frime. Mais il n'a jamais eu de problème de passage. Car c'est le fils d'un procureur connu à Alger», soutient Hocine en 4e année de langue étrangère au département des langues à Bouzaréah.