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Des appartements et des garages aux écoles parallèles
20 ans après l'apparition des cours de soutien
Publié dans Le Temps d'Algérie le 16 - 12 - 2012

Prévues à partir du 20 décembre, les vacances d'hiver ne seront pas, pour de nombreux élèves, notamment ceux des classes d'examen, synonymes de détente et de repos, mais au contraire une période d'intenses révisions et de cours de soutien dans des écoles privées.
Ces jours de repos «pédagogique», après un premier trimestre plein, seront pour la plupart des élèves une période de cours particuliers et intensifs. Ces fameux cours de soutien payants auxquels ont recours les élèves, désormais des différents paliers, sont devenus indispensables.
Effet de mode ? Besoin réel de cours complémentaires ou business ? Comment expliquer l'ampleur du phénomène et la prolifération désormais des «écoles privées de cours de soutien» ? Quelles en sont les conséquences et les dérives ? Chacun y va de son commentaire.
Les pour et les contre même si les spécialistes et autres pédagogues déconseillent cette pratique. Ils soutiennent que ces vacances sont indispensables pour le repos, la détente et la «récupération» des enfants.
Les cours de soutien, une pratique «nationale», se résument au niveau de la wilaya d'Alger dans une de ses communes de l'extrême-est : Réghaïa, une localité connue pour la prolifération des ces écoles privées.
Située à 30 km de la capitale, cette commune compte plusieurs cités d'enseignants. Souvent, ces dernières possèdent des garages prévus pour y stationner leurs véhicules.
Pourtant, à la cité Si Lakhdar (la Gare), les voitures passent la nuit à la belle étoile. Les garages en parpaing sont quasiment tous équipés de tableau, de tables et de chaises. Exploités par leurs propriétaires ou loués à des enseignants, ils peuvent abriter jusqu'à 40 élèves entassés dans une surface de 15 m2.
Certains enseignants y donnent des cours depuis plus d'une dizaine d'années. Et en tant d'années, rien n'a changé, ou presque, sauf les tarifs des cours qui ont doublé. Rencontrée sur les lieux, une élève de 1re AS déplore les tarifs excessifs mais surtout les conditions de travail.
«Exigus, mal éclairés, surchargés, et non aérés, l'air est irrespirable dans ces garages. Nous suffoquons à l'intérieur», témoigne-t-elle avant d'ajouter :
«Il n'est pas normal que des enseignants qui observent souvent des grèves pour protester contre leurs conditions de travail n'aient aucun mal à enseigner dans de pareilles conditions, parfois de 8 heures à 18 heures, comme les vendredis par exemple, enchaînant groupe après groupe, tous aussi surchargés les uns que les autres !.»
Un marché juteux
Dispensés d'impôts, une location dérisoire et des élèves prêts à payer au-delà de 1000 DA par mois, les cours particuliers sont un marché rentable qui a vu les enseignants se transformer en des «marchands du savoir», mais ce n'est pas sans conséquences.
Rafik, 17 ans, en 2e AS, regrette qu'il n'y ait plus de respect envers les enseignants. Ces derniers acceptent l'humiliation de peur de perdre des élèves «qu'ils prennent pour des billets de banque», ironise-t-il. «Les cours chez des enseignants portent atteinte à l'image de l'éducateur que l'élève respectait et craignait avant», relève-t-il avant de poursuivre :
«Un jour, notre enseignante se vantait de pouvoir enfin acheter la voiture de ses rêves. Ce à quoi un élève lui a rétorqué : nous devrions tous pouvoir en bénéficier. Après tous, c'est avec notre argent que vous allez la payez !» Ce marché juteux donne également naissance à de multiples dérives : concurrence déloyale entre enseignants, refus d'enseigner ou de faire des applications en classe ou encore «sabotage» des élèves qui refusent de prendre des cours et «gonflage» des notes de ceux qui cèdent, la réputation des enseignants/commerçants en a pris un coup.
Le portefeuille des parents d'élèves également. Les élèves de terminale se trouvent souvent contraints de prendre des cours dans les matières principales. Ils dépensent au minimum 3000 DA par mois en cours de soutien.
Des garages aux écoles privées
Gaya, El Khaouarizmi, Ennadjah, El Anouar ou Top Ecole, la commune de Réghaïa compte à elle seule pas moins de dix «écoles». L'une des plus vieilles, Top Ecole se trouve au centre-ville. Mitoyenne de maisons habitées, le voisinage se plaint de tapage. «On entend tout ce qui s'y passe», confie une voisine.
«Le plus gênant, c'est de devoir supporter cela le week-end très tôt le matin», dit-elle. Le nom de l'école est tagué sur la porte d'entrée et des affiches publicitaires y sont collées. En y pénétrant, on découvre des escaliers trop étroits, mal conçus et mal éclairés, un véritable danger pour tous. A l'accueil, la réceptionniste est visiblement très gênée par des questions sur les tarifs et le nombre d'élèves par groupe.
Elle insiste pour connaître notre identité. La présence de journalistes serait prohibée. Nous sommes priés de quitter les lieux et invités à récolter des informations en dehors de l'école ! La jeune femme est formelle : il n'y a aucun moyen de rencontrer le responsable.
Face à notre insistance, une enseignante abandonne sa classe pour lui venir en renfort. A deux, elles tenteront de nous «chasser». Aucune information ne sera délivrée, pas même les tarifs des cours.
Les étudiantes, un groupe d'adultes en cours de perfectionnement en anglais, viennent à la rescousse ! Au chômage ou en pré-emploi pour la majorité d'entre elles, elles se mettront du côté de leur enseignante/commerçante pour insulter les journalistes et la profession, et à donner, non sans gêne, des leçons de déontologie ! Y aurait-il quelque chose à cacher ? Ont-elles peur ? «Oui, nous avons peur de notre responsable», confiera l'enseignante spontanément.
Il faut dire que le gérant a mauvaise presse. L'école travaille dans l'illégalité depuis plus de dix ans, beaucoup d'enseignants l'ont quittée pour d'autres écoles et le cachet utilisé sur les bons de paiement remis aux élèves serait faux !
L'enseignement n'est pas du commerce !
A 500 mètres d'ici, changement de décor. Dans un périmètre de 100 m2 se trouvent pas moins de cinq écoles privées de cours particuliers. El Anouar et El Khaouarizmi sont agréées par l'Etat en tant qu'établissements de diverses disciplines.
Ce statut est obtenu grâce aux cours de langues par niveau ou des cours en informatique qu'ils dispensent en parallèle aux cours de soutien pour les écoliers. Les gérants de ces établissements travaillent dans la légalité et garantissent des conditions de travail décentes.
Le personnel est trié sur le volet et des résultats positifs sont exigés. Le nombre d'élèves par groupe chez El Anouar est d'une quinzaine au maximum. Le dimanche après-midi est réservé à l'accueil des parents. A El Khaouarizmi, des citations d'auteurs célèbres, des vers de poèmes, des versets du Coran et des Hadiths du Prophète (QSSSL) décorent les murs de l'école ainsi que des photos des candidats heureux au bac et au BEM, récompensés par l'école lors d'une cérémonie en leur honneur.
Le règlement intérieur est affiché à l'entrée. Il faut dire que le gérant de l'école, M. Sofiane Agrane, est issu d'une famille d'enseignants et a une réputation à préserver. Pour lui, cette situation de prolifération des écoles «n'est pas normale». «Il ne suffit pas d'avoir un registre du commerce.
L'enseignant n'est pas un commerçant. Si c'était le cas, j'aurais fait de cet espace un fast-food ou une salle des fêtes. L'activité est plus rentable et moins contraignante», explique-t-il. Un point appuyé par le gérant d'une célèbre école à Dar El Beida, plébiscitée par ses propres concurrents.
Vers des écoles privées agréées
Cette école affiche les tarifs les plus élevés de la région. Mais pour Yousra, 18 ans, en classe de terminale, cela en vaut la peine.
«J'assimile nettement mieux le cours ici qu'au lycée, alors que le groupe compte 50 élèves. Le secret ? Le sérieux et la rigueur des enseignants et des élèves exigés par l'établissement .» L'école affiche un taux de réussite de 92% au bac.
Le responsable de l'école avoue procéder à une sélection pour les terminales suite à une forte demande. «La priorité est accordée aux élèves ayant déjà pris des cours chez nous. Une fois tous inscrits, il est vrai qu'on demande les relevés de notes des postulants afin de trier les plus sérieux», explique-t-il.
L'école possède un règlement intérieur signé par l'élève et son parent. Un autre pour les enseignants. La justification des absences est obligatoire et le renvoi de l'élève non assidu est imminent.
«Ici, on ne fait pas dans le bourrage de crâne, on apprend à l'élève à s'organiser et à travailler en groupe. Ces élèves sont souvent surmenés, nous nous devons de les distraire et d'être à leur écoute», dira ce responsable.
«Nous avons tous une activité professionnelle rentable ailleurs, ce n'est pas l'argent qui nous intéresse. Nous voulons pallier un manque réel d'enseignement de qualité», ajoute-t-il.
Comme M. Agrane, il compte profiter de son expérience et de sa réputation afin d'ouvrir dans un avenir proche une école privée agréée par l'Etat dont les élèves se passeront des cours supplémentaires, tout en continuant à mettre son savoir au profit des élèves des écoles publiques.


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