L'Algérie doit tirer des enseignements en procédant, notamment, à la révision de sa vision sur le règlement pacifique du conflit du Mali, nous a indiqué le politologue Driss Chérif qui nous a fait une lecture sur les dernières révélations faites sur l'attaque terroriste perpétrée contre le site gazier de Tiguentourine à In Amenas. Le Temps d'Algérie : Quelle première lecture faites-vous des dernières révélations du Premier ministre Abdelmalek Sellal sur l'attaque de Tinguentourine ? Driss Chérif : Tout d'abord, il y a lieu de retenir l'ampleur des dégâts occasionnés par cette attaque à travers les chiffres avancés par le Premier ministre. L'opinion nationale et internationale aurait aimé que la libération des otages se fasse sans victime. Vu les circonstances de l'assaut des éléments de l'ANP et la délicatesse de l'opération, le risque zéro victime était impossible. Le nombre important des otages exécutés lors de cette opération démontre la délicatesse de l'offensive militaire menée contre les terroristes à l'intérieur de la base et du complexe gazier. Ça a été, il faut le reconnaître, une opération très efficace. Les services de sécurité ont fait exactement ce qu'il fallait faire. Je ne pense pas qu'une autre armée au monde aurait réussi cette opération comme l'ont fait les éléments des unités spéciales des services de sécurité algériens. Le deuxième élément que j'ai relevé concerne les preneurs d'otages. Dans ce groupe d'une trentaine d'éléments, trois seulement sont des Algériens. Ce qui signifie que cette attaque vise à donner une dimension internationale à la prise d'otages, avec comme répercussion de mettre l'Algérie dans une position fragile et l'isoler davantage. Le troisième élément concerne les failles relevées dans la sécurisation des installations pétrolières et gazières. On se demande encore comment ces éléments ont pu pénétrer à l'intérieur de cette base ? Cela révèle la mise en danger de la sécurité des sites énergétiques. L'Algérie doit tirer la leçon et procéder au renforcement de la sécurité des sites importants, à la révision de la stratégie de lutte antiterroriste en renforçant encore davantage la sécurité de ses frontières et les dispositifs de renseignements. Le dysfonctionnement de la communication institutionnelle mérite également d'être signalé. La gestion de la communication pendant la crise n'a pas été efficace. On comprend qu'il y a des informations secrètes qu'il ne faut pas divulguer pendant l'opération mais les institutions auraient mieux fait de mieux communiquer en temps voulu en démentant par exemple la première information donnée par les terroristes sur le nombre des étrangers pris en otages. En temps de crise, il est préférable de communiquer plus et avec efficacité. Sellal a reconnu que le but de cette attaque a été d'impliquer l'Algérie dans la crise au Mali, qu'en pensez-vous ? On serait tenté de croire que l'opération voulait faire impliquer l'Algérie dans la crise au Mali. Mais si on suit le timing de l'intervention française au Mali et on tient compte des déclarations de M. Sellal qui disait que l'opération était préparée depuis deux mois, c'est-à-dire avant l'intervention française, le lien n'est pas si évident que ça. Quant à l'intervention militaire de l'Algérie au Mali, il y a matière à débattre. L'envoi des soldats algériens sur le sol de ce pays voisin est contre-productif. Cela voudra dire qu'il y a rupture avec la doctrine politique nationale qui est à caractère défensif. Il faut également tenir compte du coût lourd de cette intervention sur le plans financier, humain et politique interne aussi puisque cette question concerne aussi les Touaregs algériens. Au plan diplomatique, il y a le risque de l'isolement de l'Algérie par l'ensemble de ses voisins. Pour l'instant, l'Algérie est en train d'aider le Mali à travers la fermeture de ses frontières, ce qui évitera le repli des groupes terroristes au sud algérien. Qu'en est-il de l'après-Tiguentourine ? Pour l'Algérie, la première priorité est de revoir le dispositif sécuritaire à travers le renforcement de la sécurité des sites énergétiques. Il est également question de redoubler de vigilance au niveau des frontières à travers une surveillance plus accrue de ces espaces. Il est clair que ce n'est pas évident de surveiller des milliers de kilomètres de nos frontières sud mais on n'a pas le choix. Maintenant, tous les regards sont braqués sur le Mali. On ne sait pas comment va évoluer la situation. Ce qui est certain, c'est que la guerre ne suffit pas pour résoudre le conflit au Mali. La solution politique à travers l'instauration du dialogue interne est inévitable. On s'interroge déjà si l'Algérie, à la fin de l'intervention militaire au Mali, aura un mot à dire sur le dialogue et pourra-t-elle, en tant qu'acteur régional, imposer ses choix sur la gestion de ce conflit ? Pour moi, l'Algérie doit miser sur de nouveaux acteurs qui peuvent l'aider dans le dénouement de cette crise. On a misé avant sur les éléments d'Ançar Eddine dans ce dialogue mais qui se sont avérés finalement non fiables. L'Algérie est donc appelée à revoir sa stratégie en la matière en révisant ses acteurs qu'elle a associés depuis le début du conflit. Propos recueillis par