Le Premier ministre tunisien Hamadi Jebali a reconnu lundi l'échec de son initiative de former un cabinet apolitique sans pour autant démissionner ou annoncer de solution pour sortir la Tunisie de sa pire crise politique depuis la révolution de 2011. "Je dis en toute clarté que l'initiative telle que je l'ai présentée, c'est-à-dire un gouvernement composé de membres n'appartenant pas à des partis politiques (...) n'a pas recueilli un consensus", a-t-il dit dans la soirée à l'issue de pourparlers avec les chefs d'une quinzaine de partis. M. Jebali a évoqué la possibilité d'une autre forme de compromis sur la composition du gouvernement. Celle-ci pourrait intervenir "dans les tout prochains jours", reportant ainsi une nouvelle fois le calendrier du remaniement. Il avait initié la formation d'un cabinet de technocrates, contre l'avis de son parti islamiste Ennahda, le 6 février, jour de l'assassinat de l'opposant anti-islamiste Chokri Belaïd qui avait déclenché une nouvelle vague de violences et aggravé une crise politique préexistante. Le Premier ministre n'a cependant pas démissionné lundi soir, alors qu'il avait promis de le faire si son projet échouait. Il a indiqué cependant qu'il rencontrerait mardi le président Moncef Marzouki "pour parler des étapes à venir" en vue de trouver "un consensus autour d'une autre solution". Le chef du parti islamiste, Rached Ghannouchi, a lui précisé que la réunion de lundi avait abouti à un accord de principe pour la création d'"un gouvernement restreint chargé de travailler pour des élections dans les plus brefs délais", insistant sur "les compétences politiques" des futurs ministres. Aziz Krichène, le représentant du parti du président le Congrès pour la République (CPR), a de son côté évoqué "un gouvernement mixte" regroupant personnalités politiques et technocrates. Selon M. Ghannouchi, la quinzaine de partis représentés --islamistes, opposition laïque et les alliés séculiers d'Ennahda-- étaient d'accord pour maintenir M. Jebali à son poste. Bien accueillie par l'opposition et la société civile, la proposition du Premier ministre avait peu à peu perdu du terrain dans la classe politique face à l'opposition d'Ennahda, principal parti tunisien, et du CPR. Les négociations de lundi soir avaient été décidées en fin de semaine par M. Jebali qui avait alors reporté sine die l'annonce d'un nouveau gouvernement. Compliquant encore l'imbroglio, le CPR semblait lundi au bord de l'implosion, à la suite de la démission de trois députés. Son chef, Mohamed Abbou s'apprêterait aussi à claquer la porte du parti. M. Jebali a estimé néanmoins lundi soir que malgré son échec, son projet de cabinet de technocrates a eu le "mérite de réunir tout le monde autour d'une table" et d'éviter au pays "de basculer dans l'inconnu". Signe d'un climat de tensions persistantes, la statue installée par des artistes à l'endroit où l'opposant Chokri Belaïd a été assassiné a été vandalisée dans la nuit de dimanche à lundi. "Ceux qui ont fait ça ne sont pas des humains, on a dépassé toutes les bornes", a déclaré Besma Khalfaoui, la veuve de l'opposant. Lundi soir, des dizaines de personnes ont manifesté sur le lieu de l'assassinat pour protester contre cet acte de vandalisme, accusant Ennahda d'être responsable de la mort de Chokri Belaïd. Aucune avancée dans l'enquête n'a été annoncée. Outre l'interminable crise politique, la rédaction de la Constitution est dans l'impasse, faute de compromis sur la nature du futur régime. Dès lors aucun scrutin ne peut être organisé. Entre-temps, les conflits sociaux souvent violents se sont multipliés sur fond de misère et chômage. Sans oublier l'essor d'une mouvance salafiste jihadiste qui déstabilise régulièrement le pays par des attaques.