Est-ce que l'affaire Sonatrach est un heureux prélude à un sérieux combat contre la corruption, qui, après le terrorisme intégriste, est le plus grand péril qui menace l'Algérie jusque dans son existence en tant qu'Etat et nation ? Bien sûr, la question fait d'abord sourire. D'un sourire que se partagent le sarcasme, le scepticisme et, pour tout dire, l'incroyance. C'est que ce n'est même pas évident que le fait que cette «affaire» aille jusqu'au bout rassure les Algériens que, désormais, la lutte contre la corruption sera implacable. Ils sont, en la matière, tellement échaudés par les chaînes de montagnes qui ont accouché d'une souris, tellement désillusionnés, qu'il faudra une rupture tectonique avec ce qu'on leur a promis jusque-là pour qu'ils se mettent à y croire. Qu'on ne s'y méprenne pas. Ce n'est pas parce que l'ancien ministre de l'Energie et l'ancien ministre des Affaires étrangères, catalogués «proches» du président de la République, vont - éventuellement - répondre de ce dont ils sont soupçonnés, eux et leurs proches, que le combat économique, éthique et moral sera pour autant franchement engagé. La gangrène est d'une telle ampleur que, quel que soit le niveau de responsabilité au sein de l'Etat, de l'homme accusé, il fera encore arracher des sourires sarcastiques dont l'insinuation est évidente pour tout le monde : des lampistes ! Il y a quand même un paradoxe dans le rapport de l'Algérien lambda à la corruption ; il a fini par développer autant de nonchalance face aux petites «affaires ordinaires» qui se déroulent sous ses yeux que d'indignation devant la prévarication de plus haut niveau. Mais ce qu'il voit tous les jours sert tout de même à quelque chose : la délivrance dans des délais raisonnables d'un papier administratif monnayée n'est pas un scandale en soi. Elle est seulement, de part la flagrance de son impunité, la preuve irréfutable qu'à d'autres niveaux de responsabilité et de pouvoir, il n'y a quasiment plus rien à faire contre la corruption. De fil en aiguille, il se dit qu'il est impossible que le ministre, le haut fonctionnaire, l'officier de l'armée, le divisionnaire de la police ou le juge soient inquiétés quand l'agent d'état civil, le guichetier de la poste et l'infirmière d'hôpital «opèrent» dans la plus grande quiétude. La corruption étant un «système», à chaque palier, son «peuple». Ceux qui sévissent, ceux qui «témoignent» et ceux qui en pâtissent. Si l'affaire Sonatrach pouvait au moins atténuer les certitudes logiquement et confortablement installées, elle serait déjà utile, si tant est qu'une affaire aussi scandaleuse peut «servir». Mais, pour l'exemple, il faudra peut-être d'emblée qu'elle soit suivie d'autres de même niveau. Et ce ne doit certainement pas manquer. D'abord, parce que tout le monde est convaincu que sans les révélations de la justice italienne, l'affaire serait restée au point où elle était. Ensuite, parce que depuis le départ du ministre de l'Energie, il se répète à l'envi qu'il a été «lâché», donc désormais «sacrifiable». Enfin, parce que cette affaire n'en est qu'à ses premières révélations et que tout le monde est convaincu que si elle livre tous ses secrets, ce sera vraiment une «première» à grande d'échelle qui permettra d'espérer. On n'en est pas encore là, mais il y a encore des chances que cela aboutisse. C'est déjà ça.