Les matches entre les Croates du Dinamo Zagreb et les Serbes de l'Etoile Rouge de Belgrade ont, des décennies durant, été un des grands rendez-vous du football ex-yougoslave, et celui de mai 1990 est devenu le signe annonciateur des conflits qui allaient suivre. Disputé le 13 mai 1990 au stade Maksimir de Zagreb - où la Croatie accueille vendredi la Serbie pour la première fois depuis l'éclatement sanglant de l'ex-Yougoslavie, en match comptant pour la qualification au Mondial 2014 -, il ne pouvait se produire à pire moment. Deux semaines auparavant, les partis indépendantistes croates avaient remporté les premières élections multipartites dans cette république yougoslave, ravivant encore plus les tensions ethniques entre Zagreb et Belgrade, opposée au démantèlement de la fédération. Les ultras des deux équipes étaient déjà tristement célèbres. Les "Delije" de l'Etoile Rouge sont devenues par la suite un vivier de recrutement des unités para-militaires serbes qui ont combattu en Croatie (1991-95) et en Bosnie (1992-95). Les "Bad Blue Boys" du Dinamo soutenaient inconditionnellement les velléités d'indépendance de Zagreb. Les tensions étaient palpables avant même le début de la rencontre. "Ce jour-là sentait les incidents", se souvient Renato, un supporter de l'Etoile Rouge. "Chaos infernal" En dépit d'une présence policière imposante, des escarmouches ont éclaté dans la capitale croate, où environ 3.000 supporteurs de l'équipe serbe étaient venus. Dans le stade plein à craquer, les supporteurs les plus extrêmes de l'Etoile Rouge chantaient des refrains nationalistes tandis que ceux du Dinamo rétorquaient en hurlant des insultes. L'arbitre n'avait pas encore donné le coup d'envoi que les Delije ont commencé à saccager les tribunes. A la surprise générale, la police, bien qu'omniprésente, n'a pas réagi. Lorsque les supporteurs serbes ont détruit le grillage qui les séparait des supporters croates, une bagarre générale a éclaté. Au lieu de s'interposer, la police a pris d'assaut les fans croates. La violence a gagné le terrain et toute l'enceinte a sombré dans "un chaos infernal", raconte Milan, supporter de l'Etoile Rouge, présent ce jour-là. C'est la star du Dinamo, Zvonimir Boban, 21 ans à l'époque, qui deviendra le symbole de cette triste journée. Lorsqu'il voit un policier battre sauvagement un supporteur du Dinamo, il part à la rescousse et le jette à terre d'un coup de pied style "arts martiaux". "Boban, Boban" La foule scandait "Boban, Boban" et "assassins" à chaque mouvement de la police contre les supporteurs locaux, se souvient Dean Bauer, alors étudiant de 23 ans. "C'était grotesque, la musique continuait à hurler dans les haut-parleurs et le commentateur sur place lisait des publicités comme si de rien n'était", raconte-t-il. Les joueurs ont quitté le terrain et, 90 minutes plus tard, la police a utilisé du gaz lacrymogène pour disperser la foule et escorter les supporteurs serbes hors du stade. Le coup de pied qui a propulsé Boban au rang de "héros national" en Croatie témoignait, selon de nombreux Croates, de l'insatisfaction qui régnait à Zagreb face à la domination de Belgrade dans la politique ex-yougoslave. Dragan Dzajic, une légende de l'Etoile Rouge et du football yougoslave, ne croyait pas qu'un confit pourrait déchirer le pays avant ce match. "Après le match, il était clair que tout le monde allait emprunter la même voie", celle de la violence, a-t-il déclaré depuis. Plus de 100 supporteurs avaient été arrêtés ce jour-là, et 117 policiers, 39 supporters de l'Etoile Rouge et 37 du Dinamo avaient été blessés. Un an plus tard, au printemps 1991, la guerre d'indépendance a éclaté en Croatie, la première d'une série de conflits qui ont fait disparaître l'ex-Yougoslavie.