La Cour Suprême américaine écoute lundi les partisans et les opposants à la légitimité de brevets déposés sur l'ADN humain, après s'être saisie fin 2012 d'un litige portant sur un brevet protégeant deux gènes liés aux cancers de l'ovaire et du sein. Sa décision, attendue fin juin, pourrait avoir d'importantes répercussions sur le secteur de la biotechnologie et de la recherche génétique. Une cour d'appel avait confirmé en 2011 le droit de la société Myriad Genetics de breveter les gènes BRCA 1 et 2 dont des mutations héréditaires accroissent fortement le risque de développer un cancer du sein et de l'ovaire. Mais cette décision est contestée dans les milieux de la recherche et dans la communauté médicale ainsi que par des malades qui demandent à la Haute cour de l'invalider. "Notre action s'appuie sur un jugement de la Cour Suprême datant de 150 ans selon lequel les produits et les lois de la nature ne peuvent pas faire l'objet de brevets", a expliqué Sandra Park, l'une des avocates de l'Union américaine pour la défense des libertés (ACLU) qui mène cette bataille juridique avec la Fondation des brevets publics (PPF). L'ACLU et la PPF représentent des chercheurs, des organisations de femmes ainsi que des associations médicales professionnelles fortes de 150.000 généticiens, pathologistes et experts. Selon Me Park, le fait d'extraire un gène d'une cellule pour l'isoler ne constitue pas une invention en soi et il tombe dans la catégorie des produits de la nature tout comme n'importe quelle partie du corps. "Myriad n'a pas inventé les qualités intrinsèques de ces gènes tout comme un chirurgien qui retire un rein pour le transplanter n'est pas le créateur de cet organe", a-t-elle souligné lors d'une conférence de presse téléphonique. "Obstacle" à la recherche Pour Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie et professeur à l'Université Columbia, à New York, les deux brevets de Myriad, obtenus dans les années 90, sont "un obstacle à la mise au point d'autres tests médicaux mais aussi à la recherche fondamentale". Selon Sandra Park, "c'est précisément le cas puisque Myriad, fort de son brevet exclusif, s'oppose à ce que ces gènes, essentiels pour faire de la recherche, soient isolés par d'autres chercheurs" afin d'être étudiés. Ils ne peuvent pas de ce fait mettre au point des tests concurrents potentiellement plus efficaces que celui de Myriad pour déterminer si une femme est porteuse des mutations la prédisposant au cancer du sein et de l'ovaire. Selon le docteur Ellen Matloff, une généticienne du Centre du cancer de l'Université de Yale, dans le Connecticut, le test de Myriad ne détecte pas ces gènes mutants chez toutes les femmes. "Ce monopole exclusif fait que personne d'autre ne peut faire des tests de détection des gènes BRCA 1 et 2, ce qui malheureusement continue à coûter des vies", a-t-elle déploré. La société de biotechnologies, en situation de monopole, peut facturer ses tests plus de 3.000 dollars, alors que, selon le Dr Matloff, cela pourrait coûter dix fois moins. "Myriad a créé des molécules d'ADN synthétique en laboratoire utilisées pour tester un risque accru de cancer du sein et de l'ovaire et ces molécules sont différentes de celles trouvées dans la nature ou le corps humain", se défend la société dans un communiqué. Près de 20% des quelque 24.000 gènes humains font actuellement l'objet d'un brevet, dont certains sont liés à la maladie d'Alzheimer ou à d'autres cancers. Ces brevets sont parfois la propriété de sociétés privées mais aussi d'universités et d'instituts de recherche soucieux de les garder dans le domaine public pour empêcher les firmes de s'en emparer.