Dix jours durant --entre sa mort à 87 ans et ses obsèques solennelles en la cathédrale St-Paul, mercredi-- Margaret Thatcher a une dernière fois soulevé un maelström de passions, replongeant le Royaume-Uni dans les années 80, au plus fort de la révolution de "la Dame de fer". Son biographe John Campbell avait décrit le Premier ministre de 1979 à 1990 comme "la personne publique de la seconde moitié du 20e siècle la plus admirée et la plus haïe, la plus idolâtrée et la plus déconsidérée". L'ampleur des réactions à son décès, le 8 avril, n'en a pas moins surpris, 23 ans après son départ du pouvoir du 10, Downing Street. L'actuel chef du gouvernement, le conservateur David Cameron, a salué au parlement la mémoire d'une "femme extraordinaire", fille d'épicier devenue baronne de Kesteven, et qui a "sauvé le pays" du déclin. Il a ajouté à la controverse en lui offrant des "obsèques cérémonielles" dignes des adieux faits à la princesse Diana et à la reine mère. Le Times pro-gouvernemental a lui-même relevé les grommellements à propos "d'obsèques nationales conservatrices". Et un sondage ComRes a indiqué que 60% des Britanniques désapprouvaient la dépense évaluée à une dizaine de millions de livres. Pour une ennemie jurée de l'Etat providence, qui plus est. Environ 700 militaires des trois armes seront déployés tout au long du parcours du cercueil drapé dans l'Union Jack, posé sur l'affût d'un canon tiré par un attelage de six chevaux. Parmi eux, des soldats népalais Gurkhas et des parachutistes dont les régiments se sont illustrés lors du principal fait d'armes de Mme Thatcher: la reprise de l'archipel des Malouines aux Argentins, en 1982. Scotland Yard a pour sa part mobilisé dans la crainte de manifestations hostiles à l'opération officiellement baptisée "True Blue", en référence à la couleur bleue du conservatisme pur et dur qu'elle incarnait. Sur les réseaux sociaux, les opposants les moins virulents appellent à tourner le dos à la procession. Un cran sous Churchill Quelque 2.000 invités britanniques et étrangers sont conviés à la messe funèbre dans l'imposant édifice de St-Paul qui a accueilli les plus grandes heures du pays, festives ou tragiques. A titre exceptionnel, Elizabeth II a choisi d'y assister. Le seul précédent en faveur d'un chef de gouvernement remonte à 1965. A cette différence près que le pays était alors unanime à pleurer Winston Churchill, auréolé de la victoire sur le nazisme, et lui avait fait l'honneur suprême d'obsèques nationales. L'ensemble du gouvernement britannique et tous les anciens Premiers ministres ont accepté l'invitation, y compris le travailliste Tony Blair, perçu comme l'un des héritiers politiques de la défunte. Dans les rangs des barons conservateurs sont attendus Lord Heseltine et Lord Howe, deux instigateurs de la révolution de palais à l'origine de la chute de "Maggie", en 1990. Les pays d'une Union européenne que "Mrs T" aurait voulu réduire à un marché commun n'ont pas immédiatement annoncé qui ils enverraient. Deux des grands coacteurs de Margaret Thatcher de la fin de la Guerre froide --le dernier président de l'URSS Mikhaïl Gorbatchev, 82 ans, et l'ex-chancelier allemand Helmut Kohl, 87 ans-- ont décliné l'invitation pour raisons de santé. Tout comme l'ex-première dame des Etats-Unis, Nancy, 91 ans, veuve de son ami Ronald Reagan. "Bon débarras Maggie" Le carré des crooners et anciennes gloires de l'écran renforcera le sentiment de flash-back, avec l'actrice Joan Collins, atlantiste à sa façon dans le feuilleton Dynasty; la Galloise Dame Shirley Bassey, interprète du thème musical de plusieurs James Bond; Lord Lloyd Webber, auteur de multiples comédies musicales dont "Evita" d'où est tirée l'illustre chanson "Don't cry for me, Argentina". Sans compter l'accessoiriste essentielle à la panoplie thatcherienne, Anya Hindmarch, créatrice des sacs à main emblématiques et parfois menaçants de la "Dame de fer". Aux hymnes méthodistes et mélodies de compositeurs britanniques fera écho la colère intacte de ceux qui se présentent comme les victimes de "la Passionaria of Privilege", ainsi que l'appelait l'un des caciques du "Old Labour", Denis Healey. Les politologues n'ont pas manqué de noter le ralliement à la contestation de milliers de jeunes, nés dans l'après-Thatcher mais qui rejettent son modèle de société. Ils ont plébiscité "Ding Dong, la sorcière est morte" au hit-parade des meilleures ventes de la semaine, et convoquent pour mercredi sur Facebook une party baptisée "bon débarras Maggie".