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«Nous sommes victimes des passeurs»
Des harraga racontent leurs mésaventures :
Publié dans Le Temps d'Algérie le 11 - 05 - 2013

Ils se définissent comme des vétérans et se vantent, pour certains, du nombre de tentatives de harga ratées. Attablés dans un café d'Es-Sedikia, ils se rappellent du moindre détail de leurs escapades en mer, à la recherche du salut, loin très loin à l'horizon. «Mais c'était sans compter avec les conditions climatiques, la ténacité des gardes-côtes algériens et la Guardia civile espagnole.
A chaque fois, c'est le retour à la case départ, le retour sur la terre ferme, pour chercher un autre passeur, refaire les mêmes petits travaux, solliciter les mêmes aides pour reprendre la mer et échouer au fond d'une cellule du poste de la guardia civile», dira Saïd qui avoue qu'il cultive toujours l'espoir un jour d'aller ailleurs et de terminer son voyage en mer sur la terre ferme d'un Eden qu'il dessine au gré de ses rêves.
Ces jeunes ont pris l'habitude de se retrouver dans ce café pour se donner des ficelles, conseiller les jeunes qui «veulent tenter l'aventure pour la première fois», et débattre de «l'argus» du voyage. Ils passent leurs journées à égrener leurs souvenirs, à refaire dans leurs propos leurs aventures ratées et se donner des conseils «dans le cas où la chance venait à sourire de nouveau».
Ali, qui a atteint deux fois le sable des plages espagnoles avant d'être capturé, confié à des employés d'un centre de rétention avant d'être embarqué dans le premier bateau en partance vers Oran, reconnaît que le coup n'est plus tentant comme autrefois. «C'est la crise là-bas. Moi, je connais des Espagnols qui font la harga inverse. Ils viennent travailler dans le chantier de réalisation du tramway. Je connais même certains qui sont employés chez des privés. Pour moi, si je venais à refaire le coup, l'Espagne ne sera qu'une étape, je remonterais plus haut vers les pays scandinaves où il y a plus de chances de s'installer», dira-t-il.
La loi des passeurs
Tous ces jeunes reconnaissent qu'en confiant leur sort à un passeur, ils s'exposent au danger de se retrouver à servir de nourriture aux poissons. «Ce qui les intéresse, c'est comment remplir l'embarcation. Il y a une année, remplir une embarcation à raison de 15 millions de centimes par passager était facile.
Aujourd'hui, avec les risques encourus en mer et la crise qui sévit en Espagne, c'est devenu plus difficile pour un passeur de trouver la clientèle», dira Ali, qui ne manquera pas de classer ces individus en deux catégories : les sérieux, ceux qui donnent toutes les chances à l'embarcation d'arriver à bon port, et les autres, les criminels qui ne sont mus que par le gain. «Ce sont des véritables boat people qui sont lancés, le soir venu, à partir des plages non surveillées de la corniche. Pour eux, c'est une véritable arche de Noé qui prend la mer. Ils ne se soucient ni du confort ni de la sécurité des harraga»,
dira-t-il. Ces derniers achètent souvent des embarcations coulées à des pêcheurs dans lesquelles ils entassent des jeunes venus de toute la région Ouest. «J'ai vu une fois un petit boti (petite embarcation de plaisance généralement conçue pour quatre personnes), dans lequel s'étaient installées 25 personnes. Une fois en mer, je ne sais même pas si elles sont arrivées à franchir les eaux territoriales algériennes», dira-t-il, avant d'ajouter, «les pauvres, elles ont sûrement péri en mer».
Pour eux, l'autre catégorie de passeurs a ses relais «là-bas». «Ils vous font payer cher le voyage et une fois arrivé en Espagne, ils ont des intermédiaires qui vous prennent en charge pour vous convoyer soit vers une région d'installation, soit vers les frontières pour pousser encore plus loin vers l'Europe, où ils ont d'autres ficelles pour faciliter votre installation», dira Saïd.
Il estime que ces individus sont la partie visible d'un réseau international qui a ses ramifications dans plusieurs pays. «Je connais même un passeur qui faisait voyager des subsahariens, eux, qui préfèrent transiter par le Maroc. Je crois qu'il travaillait pour un réseau international qui avait des relais en Afrique noire et même en Europe», dira-t-il.
La trêve hivernale en attendant le rush du printemps
Pour ces jeunes, tuant le temps à leur manière dans un café, l'hiver est synonyme de trêve. «Vous verrez, quand reviendra le beau temps, ce sera le grand rush. Les petites plages aussi bien de la corniche ouest qu'est vomiront chaque soir des nuées de bateaux en direction de l'Espagne.
Les passeurs ne pourront pas abandonner un business qui leur permet de faire bombance dans les discothèques et autres cabarets des Andalouses. «J'en connais même un qui fait payer la place à 30 millions de centimes, mais il assure au moins d'accoster sur une plage espagnole. Il utilise des bateaux puissants, équipés de quatre moteurs, comme ceux utilisés par les «Go fast», qui convoient la drogue entre le Maroc et Gibraltar.
Ils réalisent deux ou trois voyages par an et se tiennent peinards le reste du temps. Vous avez vu les annonces de vente d'hors-bord qui pullulent dans les journaux ces derniers temps. Ces passeurs achètent ces embarcations sans marchander, car ils savent qu'ils peuvent, au terme de deux voyages récupérer leur investissement et de substantiels bénéfices», dira Houari dont l'histoire est atypique.
Ayant bénéficié d'un crédit Ansej qui lui avait permis d'acheter un bus, il s'est retrouvé à travailler dur pour préparer sa traversée en direction de l'Espagne. Il a tenté par deux fois le voyage et par deux fois il a été arrêté par les gardes-côtes espagnols. «Même avec une boussole et un GPS étalonné, la traversée est difficile, car souvent, en mer, certains harraga s'agitent, prennent peur et deviennent dangereux pour les autres.
Mais malgré ces risques, je suis prêt à tenter encore une fois le coup», dira-t-il. Pour ces jeunes, le temps s'est arrêté le jour où ils ont raté leur harga. Pour eux, la vie, c'est s'installer là-bas et revenir en été, pour faire le paon devant les autres jeunes du quartier. «Je voudrais bien un jour réussir.
Je serais la fierté de ma mère. Je travaillerais pour légaliser mon installation et pour pouvoir revenir un jour, en été, comme les autres émigrés, au volant d'une belle voiture et flanqué de la plus belle des femmes espagnoles. C'est mon rêve et je ferais tout pour le réaliser», dira Houari.
Saïd, lui, fait de temps à autre des pèlerinages sur la petite plage de Kristel qui l'avait vu embarquer pour la première fois sur un fétu de paille, pour braver les dangers de la mer. «Ce jour-là, j'ai failli mourir. Je n'ai eu la vie sauve que grâce à une unité des gardes-côtes qui nous avait recueillis au large», dira-t-il.


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