L'Allemande Angel Merkel vient de se séparer, hier sans regrets, de son ministre de l'Economie. L'Espagnol Zapatero ne veut pas offrir ce privilège à une opposition conservatrice qui exige le départ de son puissant patron de l'économie, Pedro Solbes. L'envie ne lui manquerait pas cependant de trouver un remplaçant moins «mouillé» dans cette crise qui frappe son pays plus que n'importe quel autre dans l'espace de l'Union européenne. Une sorte de fusible quoi. Nicolas Sarkozy assure sans convaincre que la France n'est pas dans la situation de l'Espagne, où le chômage a grimpé de 2,2 à 3,3 millions de personnes en douze mois. Ni dans celle de la Grande-Bretagne, où Gordon Brown, ex-grand argentier du Royaume-Uni devenu Premier ministre, voit s'effondrer la livre sterling menaçant un PIB produit à 435% par les services. Pourtant on chahute plus à Paris que dans toutes les capitales européennes. En attendant, tout le monde regarde vers la réunion du G20, dans deux mois à Londres, pour faire le point sur ce qui a été appliqué depuis le sommet du G20, le décembre 2008 à Washington. Rien d'encourageant apparemment. Aux Etats-Unis, les entreprises automobiles ferment leurs portes, mettant dans à la rue en seulement quelques mois plus d'un million d'ouvriers. Obama fait ce qu'il peut pour redonner confiance aux Américains et au reste du monde, du moment que la crise mondiale a commencé aux Etats-Unis. Il donne l'exemple en s'attaquant aux privilégiés, les «seigneurs» de la finance. Les banquiers qui gagnaient des dizaines de millions de dollars par an devront se contenter d'un salaire de haut fonctionnaire aux Etats-Unis, un maximum de 400 millions dollars annuellement. Pas question, a déjà déclaré Obama, de spéculation salariale à partir de l'argent du contribuable alloué aux banques pour leur éviter la faillite. Du coup, les historiques partis socialistes européens découvrent les vertus de la social démocratie américaine et veulent emboîter le pas à Barack Obama. Hier matin, le ministre espagnol du Travail, Celestino Corbacho, dont le pays occupe désormais le triste privilège de la plus importante tendance à la hausse du chômage, 15% actuellement, contre moins de 8% au début de la crise en 2008, exige aux entreprises le gel des salaires. Certains banquiers en Espagne percevraient des revenus (en millions d'euros) qui rendraient jaloux leurs collègues américains. Initiative avisée de Corbacho, mais en soi insuffisante, voire sans effet, sur une crise qui est loin d'avoir révélé toute sa virulence. Un million de familles sans revenu Car si la reprise est annoncée ici et là en Europe, dans les prochains mois, au pire à la fin de l'année, comme en France où le chômage est contenu à 2 millions de personnes, en Espagne ce phénomène du chômage s'inscrit dans la durée. 650 000 chômeurs en Espagne depuis plus d'une année et qui ne voient rien venir. 290 000 le sont depuis plus de deux ans. Mais plus nombreux sont ceux qui ont plus de deux ans de chômage et qui ne perçoivent plus d'allocations. Un million de familles n'ont aucun revenu. Si l'on tient compte des statistiques avancées par le FMI et la Commission européenne, pour citer une nouvelle fois l'exemple concret de l'Espagne, en 2009, le PIB espagnol chutera de 1,5%. La croissance restera négative jusqu'en 2010, voire plus tard. L'inflation, par contre, est déjà au-dessus de 3%, le seuil toléré par les critères de convergence fixés par la Commission européenne. Cette crise a quelque part conforté certains gouvernements européens dans leur politique de lutte contre l'immigration clandestine. «Le marché du travail espagnol ne peut plus prendre de main-d'œuvre étrangère», répète désespérément aux entreprises le même Celestino Corbacho, qui vient quelques jours plus tôt d'user de la même formule chère à Nicolas Sarkozy : «L'immigration choisie.» Il dit ceci aux pays pauvres : on prend vos médecins, vos infirmiers, vos informaticiens et vos cadres en fonction de nos besoins et on vous retourne la main-d'œuvre dont on n'a plus besoin. Une honteuse opération publicitaire pour encourager le «droit au retour» des étrangers hors-Union européenne est placardée sur tous les murs des villes d'Espagne. Hypocrisie Les mots sont parfois chargés d'une sacrée dose d'hypocrisie. Pendant ce temps, les charters font le plein des «réadmis vers le pays d'origine». A Paris, à Rome et à Madrid on se vante d'avoir expulsé, puisque c'est le mot juste, plus de «sans-papiers» que prévu. C'est la seule croissance «positive», avec le chômage, ironise un journal satyrique. Maintenant, vue de la rive nord de la Méditerranée, la tentation migratoire, personne ne la comprend. Pas même ceux qui après avoir bravé tous les risques du désert, des mers et des frontières les plus surveillées, dont la plupart attendent le miracle d'une embauche qui ne vient pas. Le «droit au retour», bien sûr qu'ils y pensent et sérieusement. En France, les patrons des entreprises qui embaucheraient des «sans-papiers» iront en prison. L'Espagne est encore au stade de la menace par la contravention, mais le gouvernement espagnol finira bien par prendre exemple sur Sarkozy. Comme qui dirait, la crise économique s'est présentée à temps pour conforter les gouvernements des pays de l'Union européenne, en particulier ceux de la rive sud de la Méditerranée, dans leur politique anti-immigration commune. Il est curieux quand même que la veille de la crise, en 2007, nombreux étaient les pays d'accueil de la migration qui parlaient encore de richesse humaine, comme le faisait Zapatero et Romano Prodi, et de la contribution des immigrées au PIB et à équilibrer les fonds de la sécurité sociale. C'est déjà une vieille chanson.