Cinquante kilomètres plus au sud de la Coupole, au cœur de la Mitidja. Un café populaire dans un quartier populeux d'une ville qui a subi les affres du terrorisme. A notre arrivée dans l'établissement, en face de sa poussiéreuse télé Enie couleur, le patron nous dévisagea avec un rictus, se rappelant sans doute l'épisode d'un papier paru dans un journal qui lui a valu quelques désagréments. «Ecoute, ne cite pas mon commerce, bonhomme !», nous lança Moh, la cinquantaine bien entamée, mais l'œil toujours alerte et l'oreille bien fine. Il savait que nos rares escapades ici cachaient toujours quelque chose. Il le saura quelques instants après, quand le journal télévisé s'ébruita sur les magnifiques images tout en bleu azur et les tourbillons de la lumière dansante sur l'entrée à l'américaine de Bouteflika. Le silence dans la petite salle du café s'écrasait devant les bruits de l'ambiance des grands jours qui se dégageait de l'écran 55 cm. Ici, chaque jeudi après-midi, on se regroupe comme dans un gradin pour suivre un match de foot. «L'avantage, c'est qu'on est au chaud, un café ou un thé à la main et des débats passionnés en direct.» Sur le vif, les gens complices partageaient des regards dubitatifs et de brefs commentaires sur cette entrée magistrale. Comme si la mise en scène de la Coupole avait transformé par de subtils jeux de lumière et d'infinis décors le Président en candidat. «Il sait bien faire les choses», répéta deux fois Mokhtar, agent administratif à l'APC. Le déferlement des images du meeting alimentait sans cesse le brouhaha ; «quelle classe !», «si c'est à l'américaine comme ça, ça veut dire qu'on est capable de bien faire dans d'autres domaines», «je crois qu'il est le seul qui a une stature d'homme d'Etat»… Nous connaissant, des téléspectateurs bien intéressés nous débitaient des discours sur Bouteflika, sur la politique, sur le vote. Djillali, l'intellectuel du quartier, m'expliquait comme un militant de douar que les «bons» électeurs se souviendront toujours du vieux dicton «El maâroufa khir mène el telfa», et que le Président «est capable d'amener les gens à voter». Aâmi Abdelkader, ancien dirigeant du club de foot, analyse ces élections selon ses prismes. «Pour moi, 2004 était un vrai match, un championnat et une compétition ouverte ; 2009, ce sera comme la coupe», avant de se raviser, comme pour s'excuser de ces raccourcis trop rapides en me chuchotant que le pays «a besoin d'un capitaine d'équipe chevronné, respectable et respecté». Quand le générique télévisuel inonda l'écran, nous posâmes une question : «Irez-vous voter ?» «Peut-être. On verra. Regardez avec les législatives. On nous fourgue des gens inconnus et qu'on ne rencontre jamais. La présidentielle, c'est différent», lance Mokhtar qui nous confie sous le sceau du secret qu'il a des pépins avec le P/APC. Moh le patron nous tend la main pour nous saluer : «La prière du Maghreb n'est pas loin. Ecoute, dans cette bourgade, on connaît ce qu'est le terrorisme, la paix retrouvée. On saura comment faire en avril. Ne vous inquiétez pas !»