Ahmed Bédjaoui, ancien gestionnaire et enseignant à l'université. Il est connu du grand public pour ses émissions qui ont fait les beaux jours de la télévision algérienne, ses écrits dans différents journaux, mais aussi pour les conférences qu'il a animées dans plusieurs pays. Dans cet entretien, il nous retrace les principales étapes qu'a traversées le cinéma algérien et les possibilité de sa relance. Le Temps d'Algérie : Que pensez-vous de la production cinématographique en Algérie durant les dernières années ? Ahmed Bedjaoui : Ce n'est pas un problème de quantité de films qu'il faut produire, mais plutôt de structures. L'Algérie a eu dans le passé un marché de distribution où ce système fonctionnait à merveille et la part qui provenait de la fiscalité du cinéma a permis la réalisation de plusieurs films. Cette source financière a tari lorsque les salles ont été fermées. C'est dire que le cinéma est un ensemble. A plusieurs occasions, j'ai dit que le film c'est le public qui le détermine, c'est lui aussi qui détermine le réalisateur. Celui qui s'autoproclame réalisateur et qui n'a pas la sanction du public, est-il un réalisateur ? Il y a un problème de légitimité ; et par conséquent je pense que le cinéma algérien n'a jamais complété sa chaîne.
Vous parlez de quelle période ici ? Il avait l'occasion en 1962, mais il ne l'a pas fait. On a hérité des salles de cinéma du colonialisme, ainsi que des laboratoires. Il y avait Afric-film, celle-ci a été démantelée dans le silence de même que le laboratoire que nous avons monté, il a subi le même sort. Le laboratoire de l'ANP qui a été cédé aux civils, mais quels civils ? il a fallu qu'on le livre à l'ENTV. Cette dernière a démantelé le laboratoire, ainsi que les laboratoires de 16 mm qu'on utilisait pour faire les conversions avec lesquelles les plus grands films de la télévision algérienne ont vu le jour. C'est une logique de démantèlement, ce n'est pas une logique de construction c'est celle-là qui a prévalu jusqu'à présent. A présent y a-t-il un espoir pour la relance du cinéma ? Il me semble qu'il y a une réflexion, une volonté de bien faire. Depuis 2001, je me suis battu pour cette relance, alors j'ai conclu maintenant qu'il y a une volonté à un plus haut niveau pour faire «bouger» le cinéma, parce qu'on s'est rendu compte de ce que le cinéma pouvait apporter comme image de réconfort, de cohésion nationale... Et aujourd'hui on pense à rouvrir les salles, et à reconstituer le tissu d'exploitation cinématographique. D'autre part, il y a eu l'événement «L'année de la culture arabe» en 2007 et prochainement le festival panafricain. Il y a deux aspects importants : celui de la production de films, (même si cette production n'a pas rencontré un nombreux public), mais il y a également un intense intérêt de la population cinéphile installée à l'étranger de par sa participation à ce renouveau du cinéma algérien, c'est une chose réconfortante. Il y a certains qui disent qu'ils sont installés en France et viennent tourner des films en Algérie. Ces gens sont installés en Belgique, en France, au Canada, en Italie, tant mieux ! L'Algérie récupère les siens, il faut qu'on ait l'esprit nationaliste, c'est ce qui fait la force d'un peuple. Nous devons aussi en tenir compte lorsque quelqu'un veut faire quelque chose pour son pays. Telle la grande vedette internationale Kamel Ouali qui participe à la Star Académie en tant que chorégraphe et il propose également un travail pour l'ouverture du festival panafrician. Il y a des gens qui disent, pourquoi Ouali, alors que ce monsieur a des propositions du monde entier. Il fait des spectacles à Las Vegas et il dit : «Moi mon rêve est de faire quelque chose pour mon pays.» c'est extraordinaire ! Voilà des gens de talent à qui on n'a jamais donné l'occasion pour œuvrer pour l'Algérie. On leur donne l'occasion de vibrer, marhaba ! Je vois Bouchareb qui vient tourner un film en Algérie. Et moi, je me dis si on peut aider tous ces gens-là à retrouver leur fibre nationale, il faut le faire. Entre Algériens au lieu de s'entre-déchirer, il faut se dire qu'on est fier de notre pays Comment voyez-vous l'avenir du cinéma en Algérie ? Je crois que maintenant, il y a une ambiance qui est le ferment et l'énergie pour réserver une place au cinéma algérien. L'autre jour, je me suis rappelé que dans mon émission télévisée, j'avais invité Youcef Chahine qui venait de réaliser son film Bab El Hadid et on a débattu durant 3 heures. A cette époque, il était presque inconnu, c'était en 1969. Dernièrement, j'ai reçu son neveu qui est actuellement gestionnaire de la société de Chahine. Il m'a informé qu'il était en train de construire 5 multiplexes avec 40 salles en Algérie. Ceux-ci seront prêts dans deux ans, dont un va être inauguré en juillet prochain à Alger, 10 salles d'ici une année et demie et un multiplexe de 8 salles à Oran. C'est formidable ! «Là je sens que les choses bougent.» Le marché est ouvert et les gens qui aiment l'Algérie vont participer au développement du cinéma. Maintenant, pour nous, il nous faut des laboratoires. Actuellement, la plupart des salles sont fermées. D'après mes informations, le président de la République Abdelaziz Bouteflika a décidé de confier les salles au ministère de la Culture. Quant à moi, j'essaie de convaincre le ministère de la Culture, non pas de les transformer en ghettos culturels, mais de travailler avec des professionnels nationaux et internationaux avec des cahiers des charges. Ces groupes eux-mêmes prendront en charge la restauration des salles, afin que les spectateurs puissent trouver la différence entre le petit écran et le grand écran. Si on arrive à affecter deux à trois salles par ville, plus les multiplexes, c'est important car actuellement, il n'y a que 12 salles qui fonctionnent. Nous avons assisté dernièrement au Palais de la culture à une rencontre liée au protocole d'accord en matière de coproduction entre l'Algérie et la France, qu'en pensez-vous ? Ici, je voudrais remettre les choses dans leur contexte et les relativiser. J'ai constaté que lorsqu'il s'agit d'un accord avec la France, on a l'impression que cela prend des proportions importantes. En réalité, on a signé un accord de coproduction avec la France, l'Italie, la Syrie, l'Afrique du Sud. Donc l'accord avec les Français ne fait que s'inscrire dans un ensemble de partenariat potentiel. C'est vrai que nous partageons avec les Français une population d'émigrés, des cinéastes qui vivent entre l'Algérie et la France mais en Italie, nous avons Rachid Belhadj, Kamel Dehane en Belgique. Même aux Etats-Unis nous avons des réalisateurs. L'accord de coproduction avec la France va permettre aux Algériens et aux personnes qui s'intéressent à l'histoire de l'Algérie de pouvoir être protégés et de trouver un cadre légal pour les efforts qu'ils ont consentis jusqu'à présent. Il y a eu toujours une coproduction, mais pas dans un cadre légal, c'était des actes volontaristes. Si par exemple l'Etat algérien trouve qu'un sujet n'est pas conforme à sa lecture, il n'acceptera pas que ce film se fasse en coproduction. Donc la souveraineté de l'Etat reste entière. Vous qui étiez habitué à être en contact avec le public à travers vos émissions télévisées, ne trouvez-vous pas que vous-vous éloignez de votre public ? Je suis toujours en contact avec le public. Je donne des cours à l'université et j'ai toujours aimé apporter ma contribution dans la gestion parce que j'étais aussi gestionnaire. J'ai déjà dirigé la production de la télévision. J'ai autant une réputation de critique de cinéma que d'un bon gestionnaire. J'ai produit des films à moindre coût. Moi je suis disponible, mais comme vous savez nul n'est prophète en son pays. Dieu merci, je suis sollicité de partout. En ce qui concerne le ministère de la Culture, je suis consulté pour apporter mon savoir-faire, et puis comme on dit : «La Terre du Bon Dieu est vaste». Entretien réalisé par Belkacem Rouache