Le dernier président du Gpra est décédé mardi soir à son domicile d'Alger. Docteur en pharmacie comme Ferhat Abbas son prédécesseur à la tête de cette même institution, comme ce dernier il a traversé une longue période d'adversité avant d'être promu président du Gpra en août 1961, autrement dit à la veille de l'ouverture des négociations d'Evian. Après un passage fructueux dans les SMA (Scouts musulmans algériens) qui le conduisit à s'intéresser à la politique et par voie de conséquence au poids que constituait le système colonial en Algérie, Benyoucef Benkhedda opte pour le succédané actif du PPA en s'offrant une carte de militant à part entière au sein du Mtld. (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). En 1949 il se rapproche des «pestiférés du mouvement démocratique berbère» qui le fournissent en éléments susceptibles de déboucher sur une stratégie possible en vue d'éliminer de la permanence indéfectible du pouvoir Messali Hadj dont la gouvernance tendait, plus que jamais, à scléroser le parti. Lui et ses camarades, on les appelait les «modernistes». C'était un homme intelligent qui avait une vision sur le devenir inévitable de l'Algérie. Partisan de l'action directe car, dans son for intérieur, il savait que le colonialisme ne pouvait céder que sous les coups de boutoir d'une guérilla en règle, il n'a pas hésité une seule seconde, à s'engager dans la Guerre de Libération lorsque Abane Ramdane fit appel à lui en 1955, et à Saâd Dahlab, l'autre centraliste qui deviendra un des grands diplomates de l'Algérie combattante. Fin février début mars 1957 il quitte l'Algérie en compagnie de Abane, Dahlab et Krim Belkacem pour se rendre en Tunisie afin de représenter avec ses compagnons, le CCE (Comité de coordination et d'exécution). Ce départ ne sera pas apprécié par tous à l'intérieur. On devine aisément pourquoi. Membre du Cnra (Conseil national de la Révolution algérienne), il sera nommé ministre des Affaires sociales du premier Gpra sous la présidence de Ferhat Abbas. Homme plutôt effacé, mais caustique quand il est mis à contribution pour défendre la légitimité du combat libérateur devant des interlocuteurs peu ouverts pour ne pas dire obtus au sens que représentait la lutte du colonisé pour le réveil du tiers-monde, Benyoucef Benkhedda conservera longtemps cette aura qui a fait de lui un homme politique proche des thèses anticapitalistes comme elles étaient développées par la Chine de Mao Tsé Toung peu après la scission idéologique sino-soviétique en 1956. Arrive enfin «l'heure des braves» et les discours grandiloquents du président français Charles de Gaulle qui, en 1959, jettent le trouble au sein du Gpra qui était alors composé d'une coalition de trois partis : les activistes du FLN, c'est ainsi qu'on les appelait, les représentants de l'Udma et les membres du Mtld, récupérés en cours de route par Abane Ramdane qui, en tant que tacticien de valeur, avait appris tôt à ratisser large. L'heure de la course au pouvoir ayant sonné, l'armée des frontières, qui avait compris que le Gpra avait été miné de l'intérieur par le discours de de Gaulle prônant l'autodétermination, décide de créer un Comité interministériel composé de trois officiers supérieurs de l'ALN pour diriger...la Révolution armée de l'extérieur. Ces officiers s'appellent Bentobal, Krim Belkacem et Abdelhafidh Boussouf, connus aussi sous l'abréviation des «3B». Le départ du Gpra de Ferhat Abbas achève de consacrer l'idée de l'implosion du gouvernement provisoire. Et Benkhedda qui héritera de la présidence en 1961 sera, lui aussi, confronté aux mêmes attitudes rudes et peu enclines au compromis des «3B». Evian, dont l'issue consacre l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962, jour du vote pour l'autodétermination, débouchera sur une période de troubles qui commencera à Tripoli lors d'un congrès qui ne connaîtra pas de clôture légale et reconnue par tous jusqu'à ce que des compromis émanant de diverses sources, parviennent à stopper une course au pouvoir qui aurait pu dégénérer en «guerre civile». Sage et disposé à aider pour sortir de la crise de juillet - août - septembre de 1962, Benkhedda se contente de dispenser la bonne parole aux frères de combat de la veille. Après quoi il remet ses prérogatives d'ancien président du Gpra à Ahmed Ben Bella que l'Assemblée constituante du 20 septembre 1962 venait de désigner chef du premier gouvernement de l'Algérie indépendante. Délivré de sa charge, Benyoucef Benkhedda retourne à ses bocaux de pharmacien laissant la politique aux professionnels. Après des années de travail laborieux et quelques essais d'écriture sur la guerre digne d'être lus, à la faveur de la fin de la «gestion unique» en octobre 1988 et la promulgation d'une Constitution pluraliste au mois de février 1989, Benkhedda se sépare quelque peu de son pilon et se dirige tout droit vers la création d'un parti, «El-Oumma», proche des thèses islamistes. Mais après quelques mois de pratique partisane il retourne à une introspection profonde et, comme il jouissait d'une formation humaniste indiscutable il préférera prendre sur lui en sabordant en 1997 sa formation politique, une manière de déclarer publiquement son aversion aux assassinats perpétrés par la nébuleuse intégriste contre le peuple algérien.