Le président français retrouve les accents du général de Gaulle qui s'est investi à assurer l'indépendance (politique et militaire) de la France. En opposant, lundi, son veto à la demande de Washington de mettre en branle l'Otan - pour, indiquent les Américains, «défendre» la Turquie dans l'éventualité d'une guerre contre l'Irak-, la France, -imitée par la Belgique et l'Allemagne - a signifié ainsi qu'elle tient à conserver un rôle dans la géostratégie politique mondiale. Car, au-delà de l'explication «technique» à l'opposition à «un conflit précipité» en Irak, la position en flèche adoptée par Paris, notamment, souligne les craintes de voir les Etats-Unis consolider leur hégémonie sur la politique mondiale, leurs partenaires devenant de fait de simples caisses de résonance amplifiant les décisions prises par Washington. Pour Paris, accorder aux Etats-Unis ce qu'ils demandent pour la Turquie par l'engagement de l'Otan, c'est souscrire à la guerre préparée et voulue par les Etats-Unis. En montant personnellement au créneau dans la crise irakienne, le président français retrouve les accents gaulliens du général de Gaulle qui s'est investi à assurer l'indépendance (politique et militaire) de la France en la dotant de sa propre force de dissuasion. L'orientation gaullienne du président français est aussi visible dans les rapports, de plus en plus consolidés, qu'entretient Paris avec les capitales arabes. Une option chère à de Gaulle, connu pour ses positions tranchées, lorsqu'il est question de souveraineté nationale. Ce double aspect de la politique étrangère de la droite française est matérialisé par une démarche, qui irrite au plus haut point l'Administration Bush. Chirac semble décidé à défendre «une vision d'un monde multipolaire reconnaissant la primauté des Nations unies», à l'inverse des Etats-Unis qui, en revanche, travaillent à l'irréversibilité d'un monde unipolaire chapeauté par Washington, qui se traduit par l'unilatéralisme exacerbé des Etats-Unis. Un état qui sera soumis à l'épreuve lors de deux rendez-vous au sommet, qui se tiendront demain et lundi. En effet, le Conseil de sécurité qui se réunira demain, aura à étudier le fameux plan franco-allemand, censé réduire considérablement les risques d'une guerre au Proche-Orient, un plan qui, rappelons-le, avait provoqué les foudres de Washington. La France, qui «dirige» l'opposition anti-américaine, aura donc son mot à dire demain, mais aussi lundi prochain où l'Union européenne se réunira au sommet autour de la question irakienne. Le couple franco-allemand tentera de convaincre les Quinze du bien-fondé de son plan de paix, au risque de voir une fissure historique apparaître dans l'édifice de l'Union. Le plan en question a été discuté, nous annonce-t-on de sources sûres, lors du tête-à-tête Bouteflika-Chirac à l'occasion de la visite éclair du chef de l'Etat à Paris le 5 février dernier. En soumettant le plan au Président algérien avant qu'il ne soit rendu public, l'Elysée voulait, croit-on savoir, connaître le point de vue d'un chef d'Etat, dont l'avis est pris très au sérieux au sein de la Ligue arabe. Autant dire que Chirac cherche le soutien des Arabes dans son bras de fer avec Bush. Le gouvernement américain semble accuser le coup très mal. L'influent quotidien économique des milieux d'affaires américains, proche des décideurs, n'y va pas avec le dos de la cuillère, lorsqu'il traite, dans son édition de mardi, le président français de «pygmée (...) travesti en Jeanne d'Arc au crâne dégarni». Un point de vue qui ne fait pas l'unanimité au sein même de l'opinion publique américaine, celle-ci est de moins en moins convaincue de l'utilité d'une attaque contre l'Irak. En tout état de cause, la position française lui voue un respect certain de la rue arabe en général et des Algériens en particulier. Jacques Chirac sera sans doute reçu en héros, à l'occasion de la visite d'Etat prévue pour les 2 et 3 mars prochain à Alger.