Le sommet de Charm El-Cheikh a produit une déclaration finale qui sauvegarde l'essentiel. Les dirigeants arabes, réunis samedi à Charm El-Cheikh lors de leur sommet ordinaire, sont parvenus à une sorte de jugement de Salomon réussissant le tour de force de sortir avec une déclaration de «refus absolu» de la guerre en Irak, sans pour autant réellement embarrasser les Etats-Unis. Toutefois la tension était réelle dans les travées du sommet donnant même lieu à un vif échange de paroles entre le dirigeant libyen Maâmar El-Gueddafi et le prince héritier saoudien, Abdallah. C'est dire que les nerfs des dirigeants arabes étaient à fleur de peau quand le sommet avait plus à ménager les pays arabes, amis ou proches des Etats-Unis, que le souci de ne point compliquer la situation de l'Irak, tout en appelant Bagdad à se conformer aux résolutions de l'ONU, notamment la 1441. Cela ne s'est pas fait sans grincement de dents surtout lorsque les Emirats arabes unis (EAU) ont pris sur eux l'initiative de présenter pour «discussion» une «idée» consistant à appeler Saddam Hussein «à quitter le pouvoir, et à quitter le pays». Cette initiative a induit un certain malaise dans les rangs des dirigeants arabes. Des observateurs ont même estimé que les EAU se faisaient dans cette affaire les porte-voix des Etats-Unis qui avaient appelé le sommet arabe à «inciter Saddam Hussein à quitter le pouvoir». De fait, les dirigeants arabes, qui s'étaient inscrits en faux contre une telle sollicitation, ont simplement ignoré le document émirati sur lequel aucune mention n'a été faite. Plus qu'un échec pour les Emirats, qui n'ont pas réussi à faire passer leur document, cette façon d'ignorer l'initiative émiratie est surtout un revers pour Washington. En vérité, les Arabes étaient singulièrement échaudés par les déclarations à répétition de responsables américains affirmant qu'il y aura des changements dans la région du Moyen-Orient après la chute du régime irakien. Ainsi, la déclaration finale, qui stipule que les pays arabes «soulignent leur refus d'une frappe contre l'Irak et de toute menace contre la sécurité et l'intégrité territoriale de tout pays arabe, ainsi que la nécessité de régler la crise irakienne pacifiquement», consacre tout un paragraphe à la menace contre les régimes arabes en place, affirmant que «les affaires de la nation arabe et le développement de ses régimes sont décidés par les peuples de la région, en fonction de leurs intérêts nationaux et loin de toute ingérence étrangère. Dans ce cadre, les dirigeants arabes dénoncent les tentatives visant à imposer des changements à la région ou à s'ingérer dans ses affaires intérieures». CQFD! En effet, accepter le changement du régime irakien par la force, c'est, pour les dirigeants arabes, admettre la prétention de Washington de «réformer» de l'extérieur les régimes de la région. Et là, ils ont senti le danger qui menaçait directement leurs positions respectives. Cependant, quoique se voulant ferme, la déclaration du sommet arabe n'est pas allée jusqu'à évoquer l'éventualité d'user de quelque forme de pression pour amener les USA à tenir compte, enfin (?), de l'opinion de la communauté internationale. A ce propos, relevant que le président malaisien, Mahathir Mohamed, avait suggéré, lors d'une réunion informelle du groupe de l'OCI (qui tiendra un sommet à Doha le 5 mars) en marge de du sommet des Non-alignés, de prendre en compte l'arme du pétrole. Toutefois, même en s'appuyant sur aucune forme de pression susceptible de les faire prendre au sérieux, le refus arabe de la guerre contre l'Irak, clairement réitéré, peut s'assimiler à une déconvenue pour Washington qui s'ajoute à celle infligée le même jour, (samedi), par les députés turcs qui rejetèrent la motion, par laquelle le gouvernement, de Abdallah Gul, demandait au Parlement d'autoriser le déploiement de 62.000 soldats américains en Turquie. Plus que jamais isolés au plan international, les Etats-Unis ne s'en disent pas moins prêts à lancer seuls une offensive militaire contre l'Irak, même sans la couverture d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. De fait, Français et Russes ont encore réaffirmé ce week-end qu'une seconde résolution est inutile tant que l'Irak coopère «activement» avec l'ONU. Ce qu'effectivement Bagdad fait depuis quelques jours tant par la destruction d'armes prohibées que par l'autorisation donnée aux scientifiques irakiens de rencontrer en privé les inspecteurs de l'ONU. Ces derniers en ont d'ailleurs interrogé deux vendredi. La situation en Irak a quelque peu mis en arrière-plan d'autres questions aussi pressantes, tel le conflit du Proche-Orient, sur lequel le sommet réaffirme cependant son dessein de «poursuivre toutes formes de soutien politique, moral et matériel au peuple palestinien, à son Intifada et à sa lutte légitime contre l'occupant».