Le mouvement islamiste légal en Algérie est dans une situation embarrassante. Les événements américains ont contraint les têtes de file de l'islamisme à faire des contorsions pour ne pas apparaître comme des radicaux qui soutiennent Oussama Ben Laden et garder une marge de manoeuvre politique qui est devenue périlleuse. Cet embarras se lit dans les déclarations de Mahfoud Nahnah, leader du MSP, qui refuse de condamner Ben Laden et le régime des taliban tant que les Etats-Unis n'ont pas fourni de preuves concrètes, qualifiant même les attentats-suicide du 11 septembre d'«accident». Nahnah fustige, par ailleurs, la position du gouvernement algérien, tout en faisant partie de l'Exécutif, après la remise d'une liste de terroristes recherchés et extradables au FBI américain. Il place le débat sur l'aspect civilisationnel et indiquera que ce qui s'est produit «reflète la réalité de l'affrontement entre l'Occident et l'Islam». La position de Nahnah, jugé comme le symbole d'une opposition islamiste pacifique en Algérie qui condamne le terrorisme, répercute un large sentiment de gêne qui accable la mouvance islamiste. Lahbib Adami, chef du parti islamiste Ennahda et également partenaire dans l'Exécutif et au sein du Parlement, prend directement la défense de Ben Laden en estimant que son parti «avait dénoncé les actes criminels qui ont touché le peuple américain, mais nous dénonçons aussi une campagne qui s'abat contre un seul homme», en l'occurrence le suspect principal des attentats new-yorkais et le responsable de l'organisation terroriste Al-Qaîda. Ce discours a été relayé par l'association des oulémas algériens de Abderrahmane Chibane, bien silencieux lorsqu'il s'agissait du drame algérien, qui s'est réveillé de sa léthargie pour proclamer une fatwa contre tout soutien officiel algérien à la coalition antiterroriste internationale que met en place Washington. Il est évident que ce type de discours appuie la position de la tendance islamiste illégale incarnée par les représentants de l'ex-FIS à l'étranger qui ne savent plus comment se positionner sans se voir directement mis en cause par les Etats européens où ils ont trouvé refuge. Ce désarroi est symbolisé par le report du prochain congrès de l'ex-FIS à l'étranger qu'aucune capitale européenne ne se mettrait, dorénavant, dans l'idée d'autoriser ou seulement de tolérer. Le FIS dissous emprunte la même voie que les «légalistes» en estimant que Ben Laden et les taliban étaient «incapables de détourner quatre avions sur le territoire américain», selon Mourad Dhina, recherché pour terrorisme en Algérie et réfugié en Suisse. Celui-ci fait porter la responsabilité aux «régimes arabes», ceux-là mêmes que sollicite Washington dans le cadre d'un front mondial contre le terrorisme. Cette agitation du pôle islamiste, toutes tendances confondues, dissimule mal le peu d'options qui s'offrent à eux. Les islamistes caressent dans le sens du poil le ressentiment arabe et musulman des sociétés et tentent de récupérer une frustration et une inquiétude née de la détermination américaine à riposter contre les agressions terroristes et qui prendrait pour cible des pays arabes ou musulmans. Liés par un processus idéologique et structurel commun au régime des taliban, les islamistes algériens tentent de ne pas perdre pied dans la bataille qui s'engage contre le terrorisme et affichent, au nom de la solidarité islamique, un soutien ambigu à Ben Laden, qui est pourtant la principale cible des enquêteurs du FBI. Sur le plan national, cette mobilisation islamiste, qui avait subi de plein fouet les contrecoups de l'attentat américain comme l'a reflété l'absence de réaction immédiate dans ce camp, tend à contrer les tenants de l'éradication terroriste. Ces derniers, qui font pression pour que l'Algérie participe activement à une coalition antiterroriste, veulent englober la menace terroriste aux mouvements islamistes même pacifiques tels que le MSP, Ennahda ou El-Islah de Djaballah, qui a été le plus prompt à soutenir Ben Laden. Craignant de se retrouver sur le banc des accusés et de voir compromettre leur avenir politique, ces partis islamistes tentent de trouver une juste mesure entre leur électorat, franchement anti-américain, et le reste de l'opinion publique nationale marquée par une décennie de terrorisme et qui a condamné fermement les attentats du 11 septembre. Jusqu'à présent, les islamistes algériens n'ont pas trouvé un équilibre à même de leur préserver une influence notable en matière électorale, surtout que l'un des thèmes politiques majeurs, actuellement en Algérie et ailleurs dans le monde et qui devrait le rester pour les prochaines élections législatives et municipales, est la lutte contre le terrorisme, l'Islam politique et le recouvrement de la sécurité. Sur ce thème, les islamistes ne peuvent pas faire campagne à moins de se désolidariser des branches extrémistes qui sont présentes dans leurs mouvements et de s'aliéner les mouvements islamistes amis dans le reste des pays arabes. Et à ce jeu d'équilibristes, Nahnah, Adami et Djaballah risquent de perdre gros.