Le pouvoir du Premier ministre britannique ne tient plus qu'à un fil, ou à un paradoxe si l'on préfère... Le gouvernement Blair a frôlé mardi soir le pire. Le débat parlementaire autour de la guerre contre l'Irak a failli s'achever en queue de poisson. Finalement, les rôles ont fini par s'inverser pour le plus grand bonheur du Premier ministre britannique. Les conservateurs sont venus au secours du travailliste Tony Blair, lui-même lâché par une écrasante majorité de sa famille politique. Son pouvoir, déjà fragilisé par trois démissions, dont celle du ministre de l'Intérieur, ne tient plus qu'à un fil, pour ne pas dire au paradoxe. Sur les 659 membres que compte la Chambre des communes (Parlement britannique) 412, en grande partie des conservateurs, ont soutenu la démarche de Blair par rapport au dossier irakien. En revanche, 149 d'entre eux ont voté contre. Pas moins de 139 votants négatifs sont membres du Labour, le parti travailliste de Tony Blair. La contre-attaque ne s'est pas arrêtée là. Plus de 200 députés, en effet, ont proposé un amendement hostile à une guerre contre l'Irak. S'il a réussi à être bloqué, cela n'a pu être fait qu'in extremis. La crise, qui couvait depuis de nombreuses semaines, a éclaté au grand jour désormais. Les observateurs et même certaines journaux britanniques n'hésitent plus à tourner en dérision ce Premier ministre «vraiment pas comme les autres», un travailliste qui tire tout son pouvoir du camp adverse. On va jusqu'à dire que les probabilités sont grandes de voir Blair tomber en même temps que Saddam, peut-être même bien avant ce dernier. Selon toute vraisemblance, la guerre risque d'être meurtrière pour les soldats britanniques qui seront aux premières lignes en compagnie des marines américains. Aux premières victimes, estiment des observateurs, les hésitants tourneront casaque à leur tour. Résultat: Blair et son gouvernement tomberaient comme un fruit mûr avant même la conclusion de la guerre contre l'Irak, une guerre, estiment les experts, qui peut durer bien plus longtemps que ne le pensent les stratèges américains. Ces derniers tablent sur à peine une semaine ou deux de conflits apparents. Après deux jours de bombardements intensifs, la marche sur Bagdad et les principales villes irakiennes commencera. En moins d'une semaine, les troupes «alliées» espèrent contrôler tout le pays. Cela paraît techniquement irréalisable si l'on se réfère à la tactique choisie par les officiers supérieurs de Saddam qui comptent attirer les troupes américaines vers de véritables guêpiers dans le but de faire un maximum de victimes et d'obliger l'opinion mondiale à s'élever contre cette «sale guerre» comme cela avait été fait à propos du Vietnam. Ce n'est, du reste, pas uniquement l'Angleterre qui se trouve dans l'oeil du cyclone au niveau du Vieux Continent. En effet, un sommet de deux jours, qui s'ouvre aujourd'hui à Bruxelles, s'annonce sous les pires auspices. Jamais, sans doute, les Etats membres de la communauté n'ont été aussi divisés sur des questions de stratégie qui devraient pourtant faire l'unanimité au regard des intérêts «communs» à ces Etats. Entre les colombes invétérées et les faucons forcenés, il est d'autres Etats, oscillant, à leurs «diplomaties défendantes», entre le soutien passif aux Américains et le silence actif en faveur du clan français. Ce sommet, où les prises de becs risquent de se produire souvent, peut annoncer un grand recul par rapport à l'unité européenne qui, par delà la monnaie commune, ne peut être effective qu'à travers une position politique commune. Or, c'est loin d'être le cas. Les deux chefs de file des deux camps risquent même de se «crêper le chignon», histoire de ne pas demeurer en reste des spectacles donnés par les Arabes et les Etats membres de l'OCI. Après les trop nombreuses diatribes anglaises contre la France, Paris a fini par perdre patience et par utiliser un discours lui aussi indigne de la diplomatie séculaire caractérisant ces deux Etats en qualifiant les propos anglais de «pas dignes d'un pays ami». La guerre diplomatique a bel et bien commencé même si l'ultimatum américain n'expirait qu'hier à deux heures du matin.