Les troupes sont là pour achever un travail commencé en 1991. Trois jours après la grande offensive américano-britannique contre l'Irak, le général Tommy Franks, commandant américain de l'opération «Liberté en Irak» livre aux journalistes les véritables visées de cette guerre. Interrogé en effet sur le sort du leader irakien, lors d'une conférence de presse à son QG au Qatar, le général a répondu sans ambages: «La manière dont nous menons cette opération militaire ne changerait pas. Peu importe la localisation ou la vie de cet homme et c'est pour cela que nous parlons de régime.» En clair, les forces alliées ne se contenteront pas de savoir que Saddam Hussein est mort pour plier bagage et rentrer chez elles. Elles n'ont pas déplacé 270.000 hommes, sept porte-avions, les Tornado, les Jaguar, la série des F14, F15, F117, les bombardiers, des dizaines de milliers de missiles, les hélicoptères Apache et Cobra, et la liste est loin d'être close, pour rien. Elles sont là pour achever un travail commencé en 1991, et laissé en l'état. Elles ne vont certainement pas refaire la même erreur que lors de la première guerre du Golfe. Bush n'a pas défié le Conseil de sécurité de l'ONU et interprété à sa manière le droit international pour s'arrêter en si bon chemin. Par ailleurs, tous les efforts faits par Saddam Hussein pour se donner plusieurs sosies et faire croire qu'il est partout et nulle part à la fois se retournent fatalement contre lui. Tant de ruse, doivent se dire les ser- vices secrets américains, ne peut rester impunie. Quelque part, ça se paie. Le nombre de palais-bunkers qu'il a construit, pour se mettre à l'abri et sauver sa tête aboutissent également au même résultat. Si le président irakien est touché, ses lieutenants et ses services de propagande auront beau jeu de dire: «Ce n'était pas lui, mais un de ses sosies.» Si l'un de ses palais est réduit en miettes, ils diront également: «Saddam Hussein n'y était pas. Il était ailleurs». Les stratèges sont parfaitement au courant de cette donne, qui fait logiquement partie de la guerre psychologique. Le général Franks ne dit rien d'autre, lorsqu'il déclare: «Que Saddam Hussein soit vivant ou mort...Il ne s'agit pas d'une personnalité, il s'agit de régime». En d'autres termes, les ruses de guerre utilisées par Saddam Hussein ont les défauts de leur qualité. Elles sont peut-être valables en temps de paix. Elles produisent un effet inverse en temps de guerre. Le parallèle avec l'Afghanistan peut illustrer ce qui se passe en Irak: Ben Laden et le mollah Omar sont restés insaisissables, mais le régime des talibans a été défait et les bases d'Al-Qaîda détruites. La mission de l'opération «Liberté en Irak» ne consite pas à éliminer personnellement Saddam Hussein, mais à le chasser du pouvoir. C'est du reste la raison pour laquelle un exil doré lui a été offert dans le pays de son choix, bien avant le déclenchement du conflit. Bien que Washington ait juré la perte du président Saddam Hussein, la stratégie des alliés va bien évidemment au-delà de l'élimination physique d'un homme, fût-il leur ennemi juré, et vise des objectifs réalistes et réalisables, que le général Franks ne manque d'ailleurs pas de souligner lors de sa conférence de presse. Estimant qu'une certaine «confusion régnait au sein des instances irakiennes» après deux jours de guerre, il se dit que le régime possédait des armes de destruction massive. «L'un des objectifs clés de cette guerre est de localiser et de détruire ces armes.» Pour le général américain, il ne fait aucun doute que le régime possède des armes de destruction massive et au fur et à mesure que cette opération se poursuivra ces «armes seront identifiées, ainsi que les gens qui les ont produites et les gardent». Une mise en garde est lancée contre l'armée irakienne, au cas où elle serait tentée de faire usage de ces armes: «Ne les utilisez pas, ne les utilisez pas», a-t-il répété. A l'intention de l'opinion mondiale, qui organise aux quatre coins de la planète des manifestations anti-guerre en Irak, il déclare que l'opération menée en Irak était «une guerre de libération, pas d'occupation». Mis à part le sort du président Saddam Hussein, l'autre grande question que posent les journalistes concerne la situation sur le terrain et l'éventualité d'engager des affrontements au corps à corps, il a garanti que les forces alliées aux portes de Bassora, grande ville stratégique du sud de l'Irak, n'entreraient pas dans la ville. Comme nous le rapportions hier déjà, les forces alliées n'entendent pas «traverser Bassora et créer des confrontations dans cette ville». Reste la question des prisonniers. Le général Franks donne le chiffre de 1000 à 2000 prisonniers de guerre irakiens depuis le début de la guerre, assurant que des milliers d'autres étaient en fuite, sans que cela puisse être vérifié. Le général se contente de dire que des «milliers de soldats irakiens ont déposé les armes et sont rentrés chez eux» sans pouvoir fournir la moindre preuve. Une fois de plus, la presse est priée de se contenter de ce qu'on lui rapporte. L'information est verrouillée.