La guerre contre l'Irak semble avoir définitivement sonné le glas du monde arabe. Au dix-septième jour de la guerre contre l'Irak, ce qui ressort de façon déroutante, de la sanglante mise à mort d'un pays, est le quasi-silence et la presque totale absence des dirigeants arabes qui semblent, pour le moins, avoir définitivement abdiqué leurs droits ainsi que leur dignité en tant que peuples arabes. Les voilà aujourd'hui invités à se conformer au futur ordre américain. Où sont donc les Arabes, au moment où l'armada américano-britannique coupe, tranche et détruit l'Irak, le pays berceau de la civilisation humaine? On croit rêver lorsque les émirs koweïtiens conjecturent, ou font préjuger, que l'hyperpuissance américaine a engagé ses milliards de dollars, ses armes high-tech et ses milliers de marines, pour sauver le petit émirat dont les monarques absolus ne doivent avoir aucune notion des droits de l'Homme, qui, paradoxalement, fondent l'intervention militaire américaine en Irak. De fait, ces monarques, qui sont les seuls parmi les dirigeants arabes à avoir officiellement approuvé la guerre contre l'Irak n'ont, en vérité, aucun droit au chapitre, et le commandement central américain, - dont les deux tiers des troupes stationnent au Koweït, qui servit de tête de pont à l'invasion de l'Irak -, considère de facto l'Emirat comme le 52e Etat américain, se comportant d'ailleurs comme en territoire conquis. A contrario, si d'autres pays arabes se sont, plus ou moins vigoureusement élevés, - il convient, en fait, de noter que seule la Syrie, pour des raisons évidentes, avait pris fait et cause pour l'Irak -, contre la guerre imposée à l'Irak, ils ont, en revanche, fait étalage, outre de leur impuissance consommée, de divergences aiguës ne parvenant même pas à sauver les apparences, comme ils le faisaient depuis de nombreuses années. La communauté internationale, qui spécule déjà sur l'après-guerre en Irak et sur l'après-Saddam Hussein, n'a ainsi prévu aucun rôle pour les Arabes dans la reconstruction de l'Irak, quand l'ONU semble, d'ores et déjà, devoir se cantonner dans les «missions humanitaires» que les coalisés prévoient pour lui et voudront bien lui confier. De fait, les principaux intéressés, en l'occurrence les Etats-Unis, avançaient - bien avant le début des hostilités - le projet de reconfigurer la région du Moyen-Orient. Laissant entendre, entre autres, un possible découpage, selon de nouvelles normes, outre l'Irak, de quelques autres pays arabes de la région dans l'optique de normaliser le Moyen-Orient sous la férule américaine. Alors qu'ils se trouvent dans la tourmente et que le devenir du monde arabe est, aujourd'hui, remis en question, les dirigeants arabes donnent l'impression de n'avoir rien de mieux à faire que de polémiquer pour des vétilles. Comme cela a été le cas entre le président du Parlement koweïtien et le secrétaire général de la Ligue arabe. Sans doute excédé par la position du Koweït, Amr Moussa, a sommé, jeudi, l'émirat de ne pas «susciter de confrontations interarabes à un moment crucial de leur histoire». Se gardant, toutefois, de prendre une position claire sur le conflit, Amr Moussa indique que «s'opposer à la guerre ne signifie pas prendre position contre le Koweït, et s'opposer à l'invasion et à l'occupation étrangère ne signifie pas s'aligner sur le Koweït». Cela en réponse au président du Parlement koweïtien Jassem al-Khorafi qui lui demandait de démissionner. De fait, les explications de Amr Moussa résument, précisément, la position alambiquée arabe - ni pour ni contre - qui les élimine de facto en tant que partie prenante dans le futur du monde arabe dont la reconfiguration se fera à Washington dans la seule optique des intérêts américains. Le monde arabe, qui n'a jamais été prêt ni pour la guerre ni pour la paix et encore moins pour la démocratie, semble accepter cet état des choses - rentrer dans les rangs - de n'être que le réceptacle d'une politique arabe qui se fera ailleurs que dans le monde arabe. Prompts à museler et à réprimer leurs peuples, les régimes arabes n'ont pas encore compris qu'ils sont en sursis, qu'ils n'ont plus leur place dans la stratégie que les Etats-Unis comptent finaliser pour le monde arabe. De fait, les dirigeants arabes ont tout à craindre de la chute de Bagdad car elle sera annonciatrice de la fin d'une époque et le début de l'imperium américain dans les régions arabes du Moyen et du Proche-Orient et la réalisation du Grand Israël. Il reste à savoir si les monarques et dictateurs qui règnent sur les Etats arabes, en sont conscients.