L'Irak sous mandat US, la Syrie sous la menace de sanctions, les Arabes mesurent-ils le dilemme auquel ils font face ? Quand le raïs égyptien, Hosni Moubarak, déclare avec conviction que «l'Irak doit être gouverné par les Irakiens», il sait pertinemment qu'il parle pour la galerie et que, les jeux étant faits, ni l'Egypte ni aucun autre Etat arabe ne sont à même d'influer sur la direction que prennent les événements. L'amère réalité est que, avant et pendant la guerre contre l'Irak - programmée par les néoconservateurs américains - les dirigeants arabes se sont murés dans un silence qui en dit long, tant sur leurs divisions que, plus singulièrement, sur leurs faiblesses intrinsèques. Au moment où la communauté internationale - soit pour des intérêts étroitement égoïstes et nationaux, comme cela a été le cas notamment de la France et de la Russie, soit pour des raisons objectives - s'est élevée contre la guerre contre l'Irak, les Arabes se sont singularisés d'une part, par une curieuse absence de réactions fermes contre un déni de droit, d'autre part, par de honteuses discordes alors qu'un pays membre du monde arabe était sous la menace de danger de mort. Après la chute du régime de Saddam Hussein, des dirigeants arabes continuent à fabuler, à l'instar de Hosni Moubarak - qui semble s'être investi en tant que porte-parole de la confrérie - qui s'exclame, sans doute très sérieux: «Aucun pays ou peuple arabe n'acceptera que l'Irak soit gouverné par des étrangers». Voilà les Américains avertis! Non sérieusement, qu'ont fait effectivement les Arabes pour que l'on n'arrive pas à cette extrémité, que peuvent-ils réellement faire aujourd'hui pour prévenir une répétition du scénario irakien? Cela d'autant plus qu'un autre pays arabe se trouve à son tour sous la menace d'une intervention armée de la part des Etats-Unis et d'Israël. Sur un autre, qui met en lumière l'inanité des dirigeants arabes, il y a le fait que depuis plus de deux ans l'Etat hébreu, extermine, dans l'impunité totale, la population palestinienne cataloguée, dans son ensemble, de terroriste par le gouvernement extrémiste d'Ariel Sharon sans qu'il se trouve un dirigeant arabe pour dire que trop c'est trop! Les Arabes, qui ont montré qu'ils étaient impuissants face aux exactions israéliennes et à l'arrogance de Sharon, ont-ils, en vérité, de quoi faire obstacle aux desseins des Etats-Unis et de George W.Bush sur la région? Ou faut-il comprendre, dès lors, qu'ils ne voyaient pas d'inconvénient à ce que Washington fasse, pour eux, le nettoyage en Irak, pour les débarrasser d'un pair devenu encombrant, Saddam Hussein et, sur leur lancée, faisant une analyse erronée de la situation s'attendent, sans doute, à ce que les choses reviennent à leur niveau habituel? Aussi aveugles aujourd'hui qu'ils l'ont été hier, les dirigeants arabes ne semblent pas comprendre, ou avoir compris, que les temps nouveaux sont arrivés, et que celui «des petits pères du peuple» est bel et bien révolu. Ce n'est pas l'armée américaine qui a battu Saddam Hussein, mais bien le peuple irakien, longtemps brimé et minoré par le maître de Bagdad, qui a refusé de se battre, pour prolonger le pouvoir d'un tyran qui n'a eu que mépris pour ce peuple irakien, un dictateur qui n'a jamais jugé correct de donner leur chance à des Irakiens qui n'ont jamais été pris en compte. Saddam Hussein - longtemps choyé par ceux-là mêmes qui l'ont abattu - qui, ces dernières années, était monté en puissance, était, aux yeux de ses anciens protecteurs, devenu trop puissant, trop dangereux pour demeurer au pouvoir. Aussi, les responsables arabes plutôt que d'essayer de tirer les leçons de la mésaventure irakienne, et remettre en question leur propre pouvoir, font comme si la guerre contre l'Irak, n'aura été qu'une parenthèse, qu'il faut rapidement fermer, pour que les choses reprennent leur cours normal. Fondé sur le pouvoir personnel - et une dictature plus ou moins soft, plus ou moins dure, où le peuple n'a pas droit de cité, la démocratie, à la limite, une concession à l'ordre nouveau de bonne gouvernance, sans que cela ait d'effet sur le rapport de force et l'état des choses - aucun régime arabe ne sauve, en fait, la mise à un monde arabe vivant encore sous le règne de monarchies absolues moyenâgeuses, et sous la loi d'hommes forts qui se comportent en vrais monarques. Ces «rois», avec ou sans couronne, ont, au long des années, dirigé leur pays de main de maître, construit son unité autour de leur nom, faisant courir aux Etats arabes les mêmes risques de dislocation dont est aujourd'hui victime l'Irak. Celui-ci montre à la face du monde une opposition sans consistance, divisée, où les chefs sont plus subjugués par les ersatz de pouvoir qu'ils espèrent que Washington va leur déléguer que du devenir de leur pays. Le constat à faire et, qui, sans doute, peut être fait, est que chaque pays arabe est un Irak en puissance. Et les menaces américaines contre la Syrie ne font que mettre en exergue le fait que chaque régime arabe se trouve aujourd'hui assis au bord du précipice. Il suffit que Washington le mette dans son collimateur pour qu'il devienne un pouvoir à abattre. Cette menace réelle, loin de soulever leur inquiétude ou dilemme, voit les pouvoirs arabes continuer à faire cavalier seul, chacun soucieux de préserver son précarré, estimant n'être pas concerné par le nouvel ordre que les Etats-Unis veulent mettre en place dans le monde arabe. Et cette dispersion des énergies est le meilleur atout, sinon la meilleure garantie, pour les néo-conservateurs américains et Israël quant à la mise au pas future du monde arabe.